N°1 / Numérique, Humanités et Sciences du langage

Retour sur une thèse de doctorat

Phonétique, troubles du langage et didactique du FLS

Laurine Dalle

Résumé

Dans chaque numéro, LHUMAINE propose à un jeune Docteur de l’Unité de Recherche L H U M A I N de faire connaître son travail de thèse à travers un article global dont le principal objectif est de valoriser ce travail doctoral. Pour ce premier numéro, Laurine Dalle, qui a soutenu en 2020, présente le fruit de sa réflexion.

Mots-clés

Aucun mot-clé n'a été défini.

Plan de l'article

Télécharger l'article

Introduction

Ma thèse de doctorat propose d’articuler deux objets d’étude : la dyslexie et l’appropriation du français langue seconde (FLS). La dyslexie est un trouble spécifique, significatif et durable de l'apprentissage de l'identification des mots écrits, possédant une origine neurobiologique et touchant 4 à 5% des enfants d’âge scolaire en France. En français, ce trouble se caractérise par des difficultés de précision et/ou de fluence en identification des mots écrits ainsi que par des faiblesses en décodage et en orthographe. Les conséquences secondaires peuvent inclure des « problèmes de compréhension en lecture, et une expérience réduite en lecture qui peut impacter le développement du vocabulaire et les connaissances de base[1] » (Shaywitz et al., 2003). Les difficultés proviennent d’un déficit phonologique (Melby-Lervag et al., 2012) qui a un impact sur les représentations phonologiques (Elbro et Jensen, 2005) ou l’accès à ces représentations (Ramus et Szenkovits, 2008) et le traitement des sons de la parole. En dehors de la lecture, ce déficit affecte les tâches de discrimination et de segmentation phonémique ainsi que la mémoire à court terme phonologique.

Cette recherche, qui s’inscrit dans une approche qualitative (huit sujets observés), étudie le développement du système phonético-phonologique, les habiletés en phonologie, lecture et orthographe d’enfants arabophones avec et sans troubles du langage écrit apprenants du français L2. L’objectif est d’identifier ce qui est typique et ce qui est atypique dans le développement langagier d’enfants arabophones apprenants du FLS afin de pouvoir différencier des difficultés transitoires inhérentes à l’appropriation du FLS de troubles instrumentaux durables. L’hypothèse générale défendue est qu’il existe des marqueurs spécifiques de la dyslexie chez des enfants arabophones bilingues successifs.

 

Le choix du sujet

Lorsqu’on a le choix, comment trouver le sujet de recherche qui va être au cœur de notre vie pendant des années ? Certains diront que le hasard n’y est pour rien. Nos valeurs, notre vision du monde, nos expériences et nos projets influent sur ce que l’on choisit d’étudier. Dans mon Master recherche, l’étude menée en première année portait sur le développement phonético-phonologique d’enfants monolingues et bilingues successifs ayant entre dix-huit et trente-six mois, celle en deuxième année sur l’apprentissage de la lecture chez des sujets arabophones nouvellement arrivés en France. Ces travaux représentaient une première base sur laquelle m’appuyer et que je souhaitais éventuellement prolonger. Cependant, une multitude de thématiques en lien avec l’appropriation des langues et l’apprentissage de la lecture m’intéressait et il était difficile de circonscrire un sujet avec précision. Je savais cependant que la conception que j’avais de ma recherche future était la volonté de produire quelque chose d’utile pour des élèves parlant plusieurs langues et les professionnels travaillant à leur contact.

Avant de débuter officiellement le doctorat, une année a été nécessaire pour délimiter mon sujet et éprouver des pistes de recherche possibles auprès de chercheurs plus expérimentés. Au cours de ces mois, avec la constitution d’une bibliographie et beaucoup d’échanges scientifiques, j’ai déconstruit puis reconstruit presque entièrement mon sujet d’étude.

Le choix du sujet définitif me vient d’une part de ma pratique en tant qu’enseignante de FLS auprès d’enfants allophones nouvellement arrivés en France (EANA). J’ai travaillé avec des EANA scolarisés dans le premier et le second degré qui parlaient différentes langues, et la diversité des profils et trajectoires d’appropriation d’enfants en situation de bilinguisme successif m’ont interpellée. Certains élèves avaient des difficultés persistantes que je ne parvenais pas à caractériser.

D’autre part, lors de mes expériences professionnelles et de ma formation complémentaire au Master (diplôme universitaire TSLA, troubles spécifiques du langage et des apprentissages) j’ai rencontré des enseignants et orthophonistes s’interrogeant sur la façon dont on peut identifier un trouble du langage, et en fonction de quels indicateurs, chez un enfant apprenant du FLS. Mon objectif était de contribuer à apporter des éléments de réponse à ces questionnements.

 

Déroulement du doctorat

Pendant la première année, j’ai étoffé la bibliographie, puis défini des questions de recherche et hypothèses. Une pré-étude a été mise en place avec deux enfants arabophones apprenants du FLS et en parallèle, la méthodologie de recherche a été travaillée. Il a été prévu de recueillir des données de parole spontanée produites en situation naturelle (conversation informelle entre chercheur et enfant) afin d’avoir accès à une partie des éléments « audibles » du développement langagier de l’enfant m’intéressant, et plus précisément aux aspects phonético-phonologiques. Une expérimentation a également été construite, se composant d’épreuves orales et écrites issues de tests orthophoniques et d’outils utilisés par les enseignants, et servant à évaluer les habiletés phonologiques, la lecture et l'orthographe. Enfin, un questionnaire parental a été élaboré, ayant pour principaux objectifs de retracer le parcours biographique, la composition de la famille, l’utilisation des langues et d’obtenir des information sur le développement langagier de l’enfant.

La deuxième année a été principalement consacrée à la rédaction de la partie théorique et au recrutement des sujets pour participer à l’étude. Des centres référents, des classes et Sessad TSL (troubles spécifiques du langage), des associations, des enseignants et des orthophonistes ont été contactés. Les critères de sélection des enfants étant précis, cette phase a pris beaucoup de temps. Pour n’en citer que quelques uns : l’âge (entre huit et dix ans), l’âge d’arrivée en France (entre cinq ans et neuf mois et six ans et deux mois), le diagnostic devant avoir été posé pour les dyslexiques, la langue parlée par les arabophones (variété de l’arabe algérien) et leur région d’origine (Constantine), le niveau en français selon les critères du CECRL (A2/B1 à l’oral), le fait d’utiliser le français quotidiennement,… Des enfants n’ont pas été retenus pour participer à l’étude, par exemple ceux étant nés en France et se trouvant donc en situation de bilinguisme simultané ; des enfants bilingues diagnostiqués comme dyslexiques mais n’ayant pas été testés dans les deux langues ; des enfants étant présentés comme « à risque » de dyslexie mais n’ayant pas été diagnostiqués ; ou encore des enfants présentant un grand nombre de troubles associés ou dont la dyslexie était un trouble secondaire. Des démarches administratives pour obtenir les autorisations auprès des chefs d’établissements, des enseignants et des parents ont été effectuées.

Au terme de ces étapes, l’observation à proprement parler a débuté, en troisième année. Quatre dyades d’enfants âgés de 8 à 10 ans ont participé : deux enfants arabophones dyslexiques, deux enfants arabophones sans troubles, deux enfants monolingues dyslexiques et deux enfants monolingues sans troubles. La démarche repose sur des approches diachronique et synchronique, qui ont semblé complémentaires. Dans une perspective diachronique, l'observation des sujets en situation naturelle durant une demi-heure a eu lieu tous les trois mois, pendant dix mois. Cela a permis de mesurer l'évolution langagière individuelle des enfants en effectuant des comparaisons intra-individuelles, et également d’effectuer des comparaisons inter-individuelles. Dans une perspective synchronique, l’expérimentation a été proposée aux enfants en milieu d’année afin d’avoir un aperçu de certaines compétences de chaque enfant à un moment précis.

Les données ont été recueillies via un dictaphone. Au fur et à mesure, elles ont été transcrites puis traitées à l’aide des logiciels Phon, Praat et Audacity. Pour une quinzaine de minutes d’enregistrement, en moyenne huit heures de travail ont été nécessaires afin d’en réaliser la transcription. Des collègues doctorants ont écouté et transcrit certaines portions d’enregistrement ensuite comparées à mes propres transcriptions, permettant de sélectionner la transcription la plus appropriée dans une quête d’objectivité. Audacity a servi à effectuer des mesures de durées pour l’expérimentation, ainsi que de réduire les bruits de fond et supprimer les passages « vides » de quelques enregistrements de données spontanées qui n’étaient pas pertinents à exploiter. Praat a été utilisé pour désambiguïser certains sons difficiles à situer à l’oreille, les sons « entre deux ». Phon a permis d’effectuer des segmentations audio et de réaliser des transcriptions orthographiques alignées sur les enregistrements audio, une fonctionnalité proposant ensuite une transcription phonologique automatique en français d’après l’orthographe. Chaque segment transcrit automatiquement a dû être vérifié et presque systématiquement corrigé. Phon a également servi à réaliser des transcriptions multiples à l’aveugle, et à faire différentes recherches et analyses dans les données.

La formation doctorale a également eu lieu pendant ces trois années. J’ai suivi une formation de documentation et recherches bibliographiques, de rédaction de documents longs et participé à des séminaires de recherche et des colloques en tant qu’auditrice puis communicante.

Enfin, la quatrième année de doctorat a été dédiée à la fin du traitement des données, à leur analyse et à la rédaction. Parallèlement à ce travail de recherche, j’ai continué à enseigner le FLE/FLS la première année, et j’ai ensuite enseigné à l’université en tant que contractuelle à temps plein, puis ATER.

 

Organisation de la thèse

Ma thèse se compose, classiquement, de trois grandes parties. La première partie est un état de l’art qui comporte quatre chapitres théoriques.

Le premier chapitre traite de l’appropriation des langues : j’ai proposé des éléments concernant l’appropriation du langage et sa complexité en insistant sur les aspects phonético-phonologiques. Le but n’était pas de faire une synthèse exhaustive du développement langagier mais de me focaliser particulièrement sur les aspects du développement essentiels à ma problématique. Dans le deuxième chapitre, l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe en langue première, en langue seconde et selon les langues ont été traités. Le troisième chapitre traite des difficultés d’apprentissage de la lecture et de l’orthographe, et plus particulièrement de la dyslexie. Le quatrième chapitre de cette partie théorique propose une description et une comparaison des systèmes phonético-phonologiques et orthographiques du français, de l’arabe littéral et de l’arabe algérien, langue de première socialisation des enfants observés.

La deuxième partie présente les objectifs et la méthodologie de la thèse : elle se compose de deux chapitres, l’un présentant la problématique et les hypothèses et l’autre traitant des aspects méthodologiques de cette étude.

Enfin, la troisième partie est consacrée à la présentation des résultats et à leur analyse, elle est divisée en trois chapitres. Dans le chapitre sept, j’ai proposé des résultats concernant la perception, la production de parole et la manipulation phonologique. J’ai examiné et analysé les données spontanées et les données expérimentales recueillies. Dans le chapitre huit, qui portait sur la perception visuelle et les représentations, j’ai présenté et analysé les résultats obtenus aux épreuves de dénomination rapide et de lecture proposées en situation expérimentale. Enfin, dans le chapitre neuf,  les données recueillies dans l’expérimentation en production orthographique (PO) sont présentées et analysées.

Au terme de cette partie, une conclusion partielle reprenant les hypothèses émises dans la deuxième partie est proposée. Les résultats permettent de valider l’hypothèse générale défendue selon laquelle on pourrait identifier des marqueurs spécifiques dans les manifestations de la dyslexie en français chez des arabophones apprenants du français L2. La thèse s’achève par une conclusion générale.

 

Et pour l’avenir…

Cette thèse n’est qu’un premier pas vers une meilleure compréhension des marqueurs de la dyslexie en contexte bi/plurilingue. L’étude a été menée auprès de peu d’enfants, et elle est en train d’être élargie à davantage d’élèves dyslexiques apprenants du français L2, y compris des élèves parlant d’autres langues que l’arabe. Deux autres objectifs principaux pour la suite sont d’aider à adapter des outils de repérage, de dépistage et de diagnostic de la dyslexie pour des populations bi/plurilingues, et d’améliorer la prise en charge des enfants à l’école. Je travaille actuellement sur des pistes didactiques et des aménagements pédagogiques en concertation avec des enseignants et professionnels de santé. Cela a fait l’objet d’une communication qui donnera prochainement lieu à une publication sur cette thématique.

 

Références bibliographiques

Elbro, Carsten, & Jensen, M. N. (2005). Quality of phonological representations, verbal learning, and phoneme awareness in dyslexic and normal readers : Phonological representations in dyslexia. Scandinavian Journal of Psychology, 46(4), 375‑384. https://doi.org/10.1111/j.1467-9450.2005.00468.x

Melby-Lervåg, M., Lyster, S.-A. H., & Hulme, C. (2012). Phonological skills and their role in learning to read : A meta-analytic review. Psychological Bulletin, 138(2), 322‑352. https://doi.org/10.1037/a0026744

Ramus, F., & Szenkovits, G. (2008). What Phonological Deficit ? Quarterly Journal of Experimental Psychology, 61(1), 129‑141. https://doi.org/10.1080/17470210701508822

Shaywitz, S. E., Shaywitz, B. A., Fulbright, R. K., Skudlarski, P., Mencl, W. E., Constable, R. T., Pugh, K. R., Holahan, J. M., Marchione, K. E., Fletcher, J. M., Lyon, G. R., & Gore, J. C. (2003). Neural systems for compensation and persistence : Young adult outcome of childhood reading disability. Biological Psychiatry, 54(1), 25‑33. https://doi.org/10.1016/s0006-3223(02)01836-x

[1] « problems in reading comprehension and reduced reading experience that can impede growth of vocabulary and background knowledge. »

 

Continuer la lecture avec l'article suivant du numéro

François TADDEI

Jérémi Sauvage

Une fois par an, la revue LHUMAINE a pour objectif de s'entretenir avec un chercheur de renom dont le travail ne s'inscrit pas forcément en Sciences du langage ou en Sciences Humaines et Sociales. Pour ce premier numéro, nous avons eu le plaisir de rencontrer François Taddei dans le parcours et le travail sont nourissants pour réfléchir en interdiciplinarité. Composée de deux parties, vous trouverez la permière transcrite ici-même et la seconde en vidéo sur la chaine YouTube de l'Unité...

Lire la suite

Du même auteur

Tous les articles

Aucune autre publication à afficher.