N°2 / Langage et pensée complexe

Gnose de Théobald Lalanne, dialectométrie et complexité :

La traversée du (sous)dialecte landais

Jean Léo Léonard, Grégory Gélébert

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Introduction

1.1. Contexte

L’abbé Théobald Lalanne [1880-1962] est crédité par nombre d’auteurs, dont Jean Séguy [1914-1973], fondateur de la dialectométrie (Séguy 1971, 1973a-b), d’avoir été précurseur en dialectologie quantitative, à travers un rapport de recherches inédit en deux volumes (Lalanne 1949, 1952), qui relatait les conclusions de son terrain pour l’ALG (Atlas linguistique de Gascogne) – atlas pionnier, sur le plan méthodologique et théorique, à bien des égards, outre la somme de données empiriques nouvelles, produites dans le cadre du projet NALF du Nouvel Atlas Linguistique de France, initié par Albert Dauzat. Lalanne avait misé sur l’application de principes mathématiques simples pour aboutir à une computation de la variation dialectale[1] dans le domaine du gascon maritime qui est majoritairement usité dans l’aire chorématique landaise[2] Alors qu’il recherchait une confirmation quantitative des bourrelets d’isoglosses de la dialectologie classique (ou « néogrammairienne »), il concluait, non sans étonnement, à l’indépendance des aires dans l’espace du sous-dialecte qu’il avait retenu, et qu’il avait arpenté en tant qu’enquêteur de l’ALG. Si computer et cogiter constituent une boucle fondamentale dans la production de connaissances, selon Edgar Morin (1986 : 105-125), alors ce rapport relevant de la littérature grise, rédigé dans un esprit à la fois empirique (collecte des données et observations sur les réalités du terrain, en termes de sociologie et géographie humaine) et expérimental (catégorisations et quantification des variables, vicariance des paramètres, entre phonologie et lexique), constitue une somme exemplaire de travail sur la Méthode et sur la connaissance de la connaissance – une gnose – de tout premier ordre. Car dans l’aporie à laquelle aboutit l’auteur en réalisant une première tentative de quantification de la variation interponctuelle, à la recherche des frontières dialectales au sein d’un sous-domaine interne à un dialecte occitan tel que le gascon, se cristallisent les doubles jeux de la connaissance, dans la relation dialogique qui se trame entre compréhension de la complexité des micro-frontières (explicandum) et explication (explicans) – cf. Morin, op. cit. 142-155).

 Lalanne fait un usage des plus inventifs d’analogies et de métaphores empruntées aux sciences et techniques de son époque : géologie, stratégie militaire (« fronts  invasifs », « replis », « avancées », « déroutes »), tout comme en avait usé avant lui l’un des fondateurs de la dialectologie, Jules Gilliéron [1854-1926], quoique de manière très différente, puisque par bien des aspects, l’approche de Lalanne est (pré)structuraliste (avec une grande attention portée par exemple à la distribution complémentaire des changements sociophonétiques, dans son analyse et computation des données). Lalanne sent bien que la nature des données de son terrain résiste à toute classification. L’intrication, la trame domine partout – ce qui fait de lui davantage un partisan d’un modèle de chaînes que d’un modèle arborescent ; logique qu’il appliquera à plus grande échelle peu après, sur un axe de versant alpes-océan (Lalanne 1951, et voir Fossat 2016 pour une réflexion sur le « parcours » épistémologique de Lalanne).

Dans un premier temps, nous rendrons compte de l’attitude de recherche de Lalanne et de sa gnose, en relation avec les sciences de son époque. Dans un deuxième temps, nous réfuterons le pessimisme atomiste de Lalanne, qui échouait à délimiter des aires cohérentes dans le vaste espace de plaines et de forêts de la Gascogne maritime, grâce aux outils récents issus de sa tentative pionnière de computation de la variation géolinguistique, en soumettant ses données, aujourd’hui compilées dans le THESOC (aimablement fournies par Guylaine Brun-Trigaud, CNRS-Université Côte d'Azur) et celles de Philippe Lartigue (2016), à l’application en ligne Gabmap[3].

Les données de l’atlas linguistique constituées par Philippe Lartigue (1992) sont bien plus abondantes en densité géographique (56 points[4] au lieu de 11), mais ne représentent qu’un secteur réduit, situé au nord de l’aire étudiée par Lalanne. La comparaison des deux séries de données, recueillies à un demi-siècle de distance, est édifiante[5].

  1. Complexité vs réduction dans la saisie des Objets de connaissance dialectologiques

Nous reprenons à Sylvain Auroux une tripartition élémentaire des dimensions de l’activité savante : 1) le composant cognitif, ou CC, 2) le composant social (CS) et le composant pratique (CP). Une même activité peut revêtir tour à tour ou selon le regard qu’on jette sur ses produits l’un ou l’autre ou chacun de ces trois composants : la classification des dialectes d’un domaine linguistique est un geste ou une saisie censée relever du composant cognitif (contribuer à l’avancement des connaissances). Mais on sait combien elle est socialement induite par le composant social, ne serait-ce que par les étiquettes géohistoriques, de terroirs et aires culturelles dans lesquelles le classificateur va puiser, volens nolens. Le recrutement des chercheurs affectés aux enquêtes et à la conception cartographique (lemmatisation, commentaires, tracés d’isoglosses) a été fortement déterminé par leurs origines sociales, qui en faisait sinon des locuteurs de dialectes gallo-romans, du moins des personnes connaissant les milieux ruraux dialectophones depuis leur enfance. Par ailleurs, le composant pratique intervient à tous les niveaux et diverses étapes : depuis le choix des domaines linguistiques à couvrir pour un projet comme le NALF[6], afin de proposer une liste cohérente et crédible de régions à couvrir par les volumes d’atlas linguistiques à éditer dans la programmation de la recherche, jusqu’aux usages que la société civile va pouvoir faire ensuite des résultats de la recherche, en en tirant des cartes de synthèse lisibles par tous, comme le montre dans la figure 1a infra la juxtaposition de cartes délimitant les frontières dialectales internes du gascon par Jean Séguy (vol. VI de l’ALG) vs la synthèse et l’édition en couleur et bien plus lisible qu’en ont donné récemment le linguiste indépendant Philippe Lartigue et le graphiste Hugo Charles-Chauvet – figure 1b.

Fig. 1a. Frontières dialectales du gascon selon l’ALG 6

Fig. 1b. Philippe Lartigue et Hugo Charles-Chauvet

 

Ces trois objets de connaissance (OdC) sont intrinsèquement très différents, en termes de complexité : la carte « frontières dialectales du gascon », à gauche, intègre la notion de systèmes ouverts et une série de gradients (les premiers sont indiqués par des frontières en pointillés pouvant déboucher sur du vide, à la manière d’un labyrinthe, comme dans la cartographie d’Henri Guiter, les seconds, par l’épaisseur des traits et des pointillés constituant les délimitations) , en revanche, la carte Lartigue-Chauvet se présente comme une synthèse réductionniste à frontières épaisses, mais intégrant également un gradient par le jeu des densités chromatiques (cf. les teintes qui différencient le gascon central et les diverses variétés de gascon méridional, etc.).

  1. La gnose de Théobald Lalanne

Voyons en quoi consiste le point de vue de Th. Lalanne sur l’ontologie des dialectes – à laquelle, de manière dialectique, il oppose l’ontologie des aires dialectales au sens poppérien du terme :

a) Le continuum dialectal prime sur toute trame permettant de tracer des limites dialectales : le dialecte ne peut être ni vu ni reconnu dans une relation de proximité géographique : c’est la distance spatiale qui permet, a posteriori, de comparer des variétés dialectales d’un diasystème complexe (cf. Weinreixh 1954 au sujet de la notion de diasystème, en tant que métasystème de systèmes dialectaux constituant un domaine dialectal, d’un point de vue structuraliste). Sinon, la seule entité que l’on puisse voir, saisir, est l’aire dialectale – la seule entité à voir son ontologie justifiée sur les cartes géolinguistiques qu’utilise le dialectologue.

b) Aucune frontière n’est imperméable à une multitude d’innovations et de tendances qui parcourent l’espace dialectal de proche en proche : il en résulte un brassage constant, dû à la mobilité des populations humaines, par les échanges sociaux (marchés, intermariages, etc.).

c) Dans les Landes de Gascogne, le brassage des aires est probablement très ancien.

Au sujet de ce dernier point, Lalanne écarte résolument la nécessité de consulter des sources écrites, qu’il juge trop disparates et peu représentatives des usages réels – de simples usages, souvent dialectalement mixtes, de scribes, d’ordre idiolectal. La démarche de Th. Lalanne diffère sur ce point de celle de Georges Millardet qui, dans la tradition de son maître bordelais E. Bourciez, a édité et exploité dans ses analyses dialectologiques un corpus important de textes anciens landais (Millardet 1910c). De fait, son approche se veut résolument synchronique : il expose une à une les aires phonologiques et lexicales, comme dans la Fig. 2b, pour saisir la variable du « juintement » (z > ʒ), et reporter les sous-systèmes de séries structurales comme dans la Fig. 2a : dans le système de notation de Lalanne I = attaque Initiale de mot, T = attaque inTervocalique & contexte postconsonantique, si bien que la carte de synthèse saisit pour un J latin (approximante palatale) les contextes C → j, z, ʒ / #_, V_V, C_.

Fig. 2a Aire phonologique (j >) z > z, ʒ (1952, II : 72

Fig. 2b. Fragment d’inventaire d’indépendance des aires (id. : 74)

 

 C’est du strict point de vue de l’analyse distributionnelle que Lalanne s’astreint à compter ces occurrences indépendantes dans le réseau dialectal, et il parvient à des mesures non plus seulement intuitives, mais quantifiées. Il écrit

 

« Ces chiffres, cet émiettement impitoyable, noté tout au long de notre patient itinéraire de 230kms, nous donne (...) une idée plus exacte de notre parler qu’un cloisonnement fantaisiste, fuyant et invérifiable, en dialectes et sous-dialectes. Mais on entrevoit déjà l’utilisation que pourront faire félibres et linguistes de cette distribution des aires pour délimiter des parlers, vrais ou imaginaires, pour décerner à chaque région « un dialecte de complaisance ». Avez-vous besoin de 500 oppositions ? Sautez ce ruisseau. - en voulez-vous 1000 ? Traversez ce petit village !» (Lalanne, 1952 : 131 éd. de l’Atelier d’Histoire Trait d’Union Labatut 2018 : 135).

Il décrit en ces termes le « parler noir » qui est au centre de son enquête :

« Cet ë tonique, très choquant pour les étrangers, fait scandale aux environs, et comme il s’ajoute aux ë initiaux et intérieurs, il se trouve que plus de 30% des syllabes sont décolorées. lë pëlyë dë lë hëmnë k’ës nëgë[7] est une phrase courante qui n’étonne aucun indigène, malgré ses dix ë consécutifs, mais qui ahurit le linguiste et décourage le poète. Les voisins raillent tant de noirceur, et les félibres ne sont pas loin de regarder le littoral comme la honte du gascon. Les usagers eux-mêmes, en déplacement, reprennent conscience de la trivialité de leur phonétique » (Lalanne, 1952, l’IALGM, I : 23).

Le décor et les principaux axes de l’exercice téléologique de Th. Lalanne visant à démontrer une proposition telle que les dialectes n’existent pas ; seules les aires dialectales existent, nous proposons de reprendre les données dialectales gascon maritime, en puisant à diverses sources (ALG, atlas linguistique en ligne de Ph. Lartigue[8]).

  1. Au-delà de Lalanne, mais en continuité de la dialectométrie de Lalanne

Commençons par tester une partie des données recueillies par l’abbé Lalanne, qui ont servi de base empirique à son essai de 1949-52, avant d’être versées au patrimoine commun, par leur publication dans les volumes de l’ALG, puis saisies dans le THESOC. Les figures 3 et 4 rendent compte de la structure statistique des données (Fig. 3a) et de leur structure topologique dans la Fig. 3b (le réseau des localités sur la carte MyMap appliquée à Gabmap). Le tableau de la Fig. 4 donne à voir un aperçu de la différence interponctuelle, pour la région couverte.

3.1 La série A de données : traitement par Gabmap

Une première série de données rassemble 71 items ou entrées lexicales comparables terme à terme en tant que cognats, choisis pour une étude phonologique, tous issus de l’ALG[9]. Il s’agit des données recueillies par Th. Lalanne et sur lesquelles il a fondé ses deux études de 1949 et 1952. Ce corpus nous fournira une certaine ampleur de vue avant de nous focaliser sur le cœur du « gascon noir », à l’aide du plus récent atlas linguistique des Landes gasconnes dont nous disposons à ce jour (Lartigue 1992).

Fig. 3a. Distribution des données THESOC (ALG) : spectre de la variation, phonologie

Fig. 3b. Réseau de points d’enquêtes de l’ALG retenu pour ce test

 

 

Voici un échantillon de données constituant la base traitée par Gabmap, par distance d’édition sur chaînes segmentales (Fig. 4) :

Fig. 4. Extrait de la base de données THESOC

 

abeille

chapeau

oeil

oeuf

cheminée

Bia

aβˈœʎə

ʃapˈɛw

wˈœʎ

ˈɛw

ʃəminˈe

Bisca

aβˈœʎə

kapˈɛt

ˈyʎ

ˈyw

tʲjaminˈɛjə

Cas

aβˈœʎə

kapˈɛw

ɡwˈœʎ

wˈyw / wˈœw

ʃəminˈe

Hos

aβˈœʎə

kapˈɛt

ˈyʎ

ˈyw

tʲjaminˈɛjə

Lue

aβˈœʎə

kapˈɛt

wˈœʎ / ɡwˈœʎ

wˈyw

tʲjaminˈɛjə

Lux

aβˈœʎə

kapˈɛt

ˈyʎ

ˈyw

tʃaminˈɛjə

Mim

aβˈœʎə

kapˈɛt

wˈœʎ

wˈyw

tʲjaminˈɛjə

Méz

aβˈœʎə

ʃapˈɛw

wˈœʎ

wˈyw

ʃeminˈe

Par

aβˈœʎə

kapˈɛt

ˈyʎ / wˈœʎ

wˈyw

tʲjaminˈɛjə

Sab

aβˈœʎə

kapˈɛt

wˈœʎ

wˈœw

tʲjaminˈɛjə

Sal

aβˈœʎə

kapˈɛt

ˈyʎ

ˈyw

tʃaminˈɛjə

Smdh

aβˈœʎə

ʃapˈɛw

wˈœʎ

ˈɛw

ʃøminˈɛjə

Sous

aβˈœʎə

ʃapˈɛw

wˈœʎ

wˈœw

ʃəminˈɛ

SS

aβˈœʎə

kapˈɛt

ˈyʎ

ˈyw

tʲjaminˈɛjə

Svdp

aβˈœʎə

ʃapˈɛw

ɡwˈœʎ

ɡwˈœw

tʲjaminˈɛjə

Tar

aβˈœʎə

ʃapˈɛw

ˈœʎ

ˈew

ʃøminˈɛjə

Urt

aβˈœʎə

ʃapˈɛw

wˈœʎ

ˈew

ʃøminˈɛjə

Vsg

aβˈœʎə

ʃapˈɛw

wˈœʎ

wˈɔw / wˈyw

ʃəminˈe

Yss

aβˈœʎə

ʃapˈɛw

wˈœʎ

wˈœw

tʲjaminˈɛjə

LTdB

aβˈeʎə

kapˈɛt

ˈyʎ

ˈew

tʲjaminˈɛjə

Sau

aβˈeʎə

kapˈɛt

ˈyʎ

ˈew

ʃəminˈɛjə

Cap

aβˈeʎə

kapˈɛt

ˈyʎ

ˈɛw

tʲjaminˈɛjə

Labrit

aβˈeʎə

ʃapˈɛw

ɡwˈḛɲ

wˈew

tʲjaminˈɛjə

 

C’est sur ces caractères que vont être calculés absences, ajouts ou substitutions de segments dans les grilles d’appariement de Gabmap, qui établissent un score de distance d’édition pour chaque localité, en relation avec l’ensemble du réseau. Le logiciel analyse sur ce protocole de lecture, qui n’est jamais que celui d’un correcteur orthographique (cf. Levenshtein 1966), scores de distance interponctuelle, comme ci-dessous pour l’entrée ‘œufs’ de la base de données :  les points Sal et Lgl pour cet item cumulent 2 différences : un point par ajout à l’initiale (prothèse w-), un autre point pour la variation d’aperture et de position de la voyelle : haute labiopalatale /y/ vs mi-basse vélaire /ɔ/. Le binôme Lou-Sol en revanche ne connaît que la première règle (la prothèse w- en contexte prévocalique labiale), mais pas la variation à la fois libre (car diatopique) et contextuelle (incidence du contexte labial dans la chaîne segmentale) de la voyelle.

Sal — Lgl

  

 ˈ 

 y 

 w 

 s 

 

 w 

 ˈ 

 ɔ 

 w 

 s 

 

 1 

  

 1 

  

  

 2 

Lou — Sol

  

 ˈ 

 y 

 w 

 s 

 

 w 

 ˈ 

 y 

 w 

 s 

 

 1 

  

  

  

  

 1 

SS — OL

  

 ˈ 

 y 

 w 

 s 

 

 w 

 ˈ 

 y 

 w 

 s 

 

 1 

  

  

  

  

 1 

SLB — Lux

 ˈ 

 y 

 w 

 s 

 

 ˈ 

 y 

 w 

 s 

 

  

  

  

  

 0 

 

Une première série de résultats de calcul de la distance interponctuelle par distance d’édition en gascon maritime fait d’emblée apparaître, à l’aide de l’algorithme de la méthode dite « de Joe Ward », ou Classification Ascendante Hiérarchique (CAH), l’objet de connaissance (et donc, objet de valeur sémiotique, pour le dialectologue…) tant recherché jadis par Th. Lalanne : une bipartition harmonieuse entre un domaine septentrional (en vert clair et bleu clair en haut dans la carte Gabmap de la Fig. 5a) et un domaine méridional (en bleu et vert foncés). Le dendrogramme de la Fig. 5b rend compte de la hiérarchisation de cet agencement taxinomique, obtenu à l’aide de 71 cognats du THESOC, pour l’ALG (ce sont là les données recueillies et analysées d’ailleurs dans ses deux essais de 1949 et 1952, par Lalanne lui-même).

Fig. 5a. Série A (phonologie) : Méthode de Ward : carte

Fig. 5b. Série A (suite) : Méthode de Ward : dendrogramme

(4 intervalles)

 

La comparaison avec la carte des aires culturelles et géohistoriques de la Gascogne maritime, en Fig. 6a rétablit de manière quasiment rousseauiste la carte dont aurait rêvé Lalanne, par l’analogie des motifs : notre aire dialectométrique septentrionale n’est autre que la conjonction non plus seulement idéelle, mais ancrée dans la matérialité de territoires comme les Landes girondines (dont le bazadais) (en vert clair, dans la Fig. 5a) et le Pays de Buch, faisant pression au nord, avec une norme de type médocain-girondin-périgourdin, qui s’oppose ici à deux pays des Landes basses : le complexe du Pays de Born / Grandes Landes (en bleu foncé sur la carte), entourée à l’est par un liseré marensin/petit landais. Au confluent entre les sous-dialectes du marensin-petit-landais et du grand-landais se trouve bien calée, comme engoncée dans une chape protectrice, une aire compacte : celle du gascon noir du pays de Born et du sud de la Grande Lande, qui est le cœur de cette aire. Les cartes en Fig. 6a-b sont explicites, de l’ontologie, en termes de composant social, mais aussi tout simplement cognitif (histoire, géographie, dialectologie), des sous-dialectes du gascon noir, comme dans la figure 6b ici-même :

Fig. 6a. Les Pays des Landes de Gascogne (source : Wikipédia)

Fig. 6b. Les subdivisions du « gascon noir » selon Philippe Lartigue (1992)

 

 

 

 

Les techniques de computation modernes permettent des représentations et des visualisations qui étaient hors de portée du dialectologue, à l’époque de Lalanne : Gabmap permet de calculer les emboîtements hiérarchiques en cascade (méthode de Joe Ward, ou CAH) – algorithme optimal pour s’approcher d’une congruence avec la méthode classique, celle des bourrelets d’isoglosses) – aussi bien que, par la méthode du « voisin le plus distant », les grand aggrégats réductionnistes, faisant apparaître des regroupements plus en profondeur. Il apparaît des propres données de Lalanne (la série A) que l’espace géolectal que Lalanne étudiait était composé, en surface, de deux sous-dialectes fortement contrastés : l’un au sud (Maremne, Marensin, Landes de Dax, Petites landes) l’autre au nord (Grandes-Landes au centre, Pays de Buch, Landes bordelaises et garonnaise au nord/nord-est). Cependant, un test de regroupements alternatifs possibles en fonction d’une autre méthode de calcul (Complete linkage ou Méthode du voisin le plus éloigné) suggère une structure interne du gascon maritime sensiblement différente. Cet algorithme permet de regrouper les grands ensembles, pourvu qu’ils ne gravitent pas trop loin des autres groupes naturels, en termes de nuage statistique (comme en 7c infra). Le résultat du test aurait sans doute (secrètement) plu à Lalanne : il suggère que, loin d’un quelconque chaos ou d’une dichotomie nord-sud en bloc, c’est plutôt le nord – l’aire girondine, ou macrogirondine) – qui s’oppose à un sud plus compact et solidaire qu’il ne semblait à première vue : à cette échelle de saisie quantitative des nuages de différences interponctuelles, c’est le scénario d’un nord girondin qui fait pression sur un sud pan-landais, incluant généreusement, quoique de manière cloisonnée, organisée, le sous-bloc du Pays de Born et du sud des Grandes Landes, ainsi que le très méridional sous-bloc Maremne-Marensin-Petites Landes : 3 contre un cette fois, au lieu de 2 contre 2 selon la CAH (fig. 5a-b).

Plus en profondeur donc, l’aire centre-méridionale se distingue du cluster de l’aire septentrionale, plus unitaire, qui sans doute a dû faire rayonner des traits médocains et péribordelais. La constellation multiscalaire (Multidimensional Scaling : MDS) révèle un continuum harmonieusement étagé, qui suggère qu’en effet, les localités sont en relation d’interaction relativement intense : les points sont équidistants, et répartis harmonieusement autour des quatre cadrants, dans la partie gauche du diagramme. Là encore, Lalanne aurait vu se confirmer le caractère diffus des groupes de variétés dans l’espace du gascon maritime : les nuages sont peu denses, très répartis sur une topologie plane, lisse en quelque sorte, qui ne creuse pas les écarts entre cadrans. Tout au plus discerne-t-on qu’un potentiel rassemblement en quatre sous-ensembles (ou dialectes, sous-dialectes du dialecte landais) est en effet possible (ce qui est rendu plus lisible et discret dans les chorèmes et dendrèmes des Fig. 5a-b).

Fig. 7a. Méthode du voisin le plus éloigné (Complete Link)

Fig. 7b. Complete link: dendrogramme

(4 intervalles)

Fig. 7c. Positionnement multiscalaire :

ALG, données phonologiques

Fig. 7d. Carte du gascon maritime ou gascon noir selon Ph. Lartigue

 

 

3.2 Données de la série B : données de Lartigue (1992)

Les données plus récentes, de la série B, permettent de varier non plus seulement les modes de computation, mais d’alterner les paramètres, comme du reste tentait de le faire Lalanne, entre phonologie et lexique. Le réseau est bien plus dense que celui de l’ALG (56 points d’enquête), mais on perd en grande partie le segment géolectal méridional de la série précédente (Maremne, Marensin, Petites landes et Landes de Dax), et on obtient une granularité beaucoup plus fine des divisions du centre et du nord[10].

Fig. 8a. Localités (Lartigue 1992)

Fig. 8b. Localités, abréviations (Lartigue 1992)

 

Il faut garder présent à l’esprit que, comme le montre d’ailleurs de manière assez explicite le tableau supra, la variation dialectale au sein du gascon maritime n’est pas de haute intensité, comme le montre cet extrait de la matrice de distances interponctuelles, calculé sur 1.0. Les valeurs sont très basses (0,037 à 0,1395), caractéristiques de la variation interne à un dialecte constitué de sous-dialectes ou de variétés[11], comme on peut en juger par cet extrait de la matrice de résultats pour le corpus Lartigue (1992) :

Un premier ordre de structuration (ou d’auto-organisation rendue visible par le traitement Gabmap) fait apparaître dans la Fig. 9a un cœur ou foyer, opposé à une périphérie : grand-marais et marensin au centre et au sud (bleu foncé et vert clair) d’une part, buchois et girondin dans les marges au nord et à l’est, respectivement, pour une saisie hiérarchique à quatre clusters, ou quatre intervalles, ou classes diasystémiques.

Fig. 9a. Localités (Lartigue 1992), 4 classes chorémiques

Fig. 9b. CAH, 4 classes diasystémiques (Lartigue 1992)

 

En augmentant de deux intervalles la finesse de grain, on voit émerger selon la CAH, pour 6 classes chorémiques et dendrographiques, les sous-dialectes ou entités géolectales dans la Fig. 10a-b. La structure interne du noyau central – qui n’est autre que le centre ou le cœur du gascon noir – apparaît : elle rassemble le girondin (G), le grand landais (GL) et le bazadais (B), groupe associé au Marensin (M). Elle s’oppose en bloc au groupe périphérique par défaut du buchois (Bu) et du garonnais (Gar), qui relèvent de deux sous-dialectes différents (le premier est de type médocain, le second, de type gascon-languedocien).

Fig. 10a. Sous-dialectes, par CAH, 6 intervalles : chorèmes

Fig. 10b. Sous-dialectes, par CAH, 6 intervalles : dendrèmes

 

Ainsi, la structure aréologique du « gascon noir » apparaît bien plus unitaire et compacte que ne le supposait Lalanne, du moins sur le plan phonologique : cette modalité phonologique, selon un terme inspiré du dialectologue galicien Ricardo Carvalho Calero, alias don Ricardo (cf. Dubert-Garcia 2021), est donc un dialecte massif, au niveau des classes diasystémiques (ou intervalles taxinomiques) 2 et 4, dont les subdivisions internes n’apparaissent qu’en activant la trame taxinomique interne (intervalles 6 et 8). Ce bloc massif est encapsulé dans un halo périphérique, de structure hétérogène (tropisme bordelais-médocain au nord, garonnais-languedocien à l’est).

Fig. 11a. Sous-dialectes, par CAH, 8 intervalles : chorèmes

Fig. 11b. Sous-dialectes, par CAH, 8 intervalles : dendrèmes

 

À un niveau plus profond de divisions (de 6 à 8 intervalles), le Marensin au sud entre en intrication avec le sud du parler noir central, éclaté en trois singletons, qui correspondent sans doute à des centres de peuplement plus denses, ou centres directeurs, comme Sabres. A ce même niveau, le liseré oriental manifeste une structure relativement composite (v. Fig. 11a-b).

Ce que montre surtout de degré de résolution diasystémique et aréologique, c’est qu’une aire intermédiaire entre le sous-dialecte M (le Marensin) et le sous-dialecte GL (grand landais) apparaît sous forme d’une chaîne d’enclaves (en vert clair, Fig. 11a), au nombre de trois, ce qui fait émerger de cette saisie de l’auto-organisation des données, un motif rappelant celui des centres directeurs de la dialectologie classique : bourgs importants, à cette échelle comme Labouheyre et Sabres.

Fig. 12. Regroupement des aires ou des sous-dialectes par CAH vs Moyenne pondérée, 6 intervalles, Gabmap, données Lartigue (1992)

 

Les deux séries de résultats, par CAH et par Moyenne pondérée (Weighted average), à 6 intervalles, permettent de mieux évaluer la position du dialecte ou sous-dialecte B (bazadais) : à la périphérie d’un grand cluster rassemblant les trois pays du gascon maritime centre-méridional G, GL et M – le trio central. Toutes les autres variétés sont périphériques, latérales, et s’agencent par défaut dans les clades externes de l’arborescence la plus fédérative – celle de la Moyenne pondérée. Elles sont plus ou moins aléatoires, par défaut, en relation au système central, qui consiste en un cluster ou aggrégat [G+GL+M], et qui a B (bazadais) pour bastion sur le flanc oriental, pour faire barrage aux intrants garonnais (Gar).

Ces interrelations fines, riches en indices historiques, sur le plan de la recherche des facteurs externes en géohistoire, se matérialisent par des représentations stochastiques et probabilistes, en Fig. 13a-b.

 

Fig. 13a. Regroupements stochastiques associés au positionnement multidimensionnel : chorèmes.

Fig. 13b.Regroupements par la méthode des probabilités.

 

Qu’en dirait aujourd’hui, ou qu’en aurait dit en son temps l’abbé Lalanne ? Aurait-il accepté un compromis entre dialectes comme modalités géolectales à la fois autonomes (ou indépendantes), mais aussi intriquées, emmêlées, à certains points de leur géométrie dans la constellation des aires observables sur le terrain ?

Ainsi, certes, le « gascon noir » s’identifie avant tout par « l’assombrissement » de son système vocalique – une simple neutralisation de la spécification de timbre vocalique –, mais il est bel et bien composé de parties constitutives, qui sont en relation d’échange dans l’espace aquitain, par des confédérations de terroirs dialectaux. Nous avons identifié une grande division nord vs sud de l’ensemble du gascon maritime, et c’est à la jonction de ces deux blocs de sous-dialectes que se trouve le cœur du gascon noir – le « grand landais ». La diversité des focales que produisent les algorithmes (Ward, Complete Linkage, Weighted Average) permet de visualiser les jeux d’agencement et réagencement des divers modules sous-dialectaux que sont l’aire girondine, l’aire du pays buchois, ou, de manière plus organique, le bazadais ou le marensin.

 

3.3. Revisiter les intuitions de Lalanne par une dialectométrie outillée

Th. Lalanne pressentait que l’histoire des interactions (échanges) entre villages et hameaux devait déterminer le foisonnement des isoglosses dans les Landes gasconnes. Mais ce foisonnement ne trouvait pas d’autre explication que la génération spontanée, incontrôlable, de traits spécifiques à chaque village par rapport à tel autre, dans un chatoiement de séries inabouties, dans le temps comme dans l’espace. « Le chaos ! Le chaos, vous dis-je ! » Aurait volontiers commenté Théobald Lalanne…

L’application d’outils triviaux de géolinguistique computationnelle comme Gabmap montre, moins de 100 ans plus tard, à l’aide des intuitions pratiques de Lalanne (quantifier les isoglosses et les appliquer à des graphes de localités dotées d’attributs isoglottiques cumulés), le contrepoint des conclusions de l’inventeur de la dialectométrie, à savoir :

1. Le continuum dialectal constitue en soi une trame complexe : un diasystème. De ce métasystème, le linguiste à l’aide de ses artefacts (dont la dialectométrie) peut générer des modèles et modélisations de diversification dialectale – ou structure interne des diasystèmes, sur le plan taxinomique.

2. La multiplicité des frontières et des imbrications de frontières connait des condensations et des règles de déploiement dans le temps et dans l’espace des variables phonologiques.

3. Dans les Landes de Gascogne, la question est moins de savoir si le brassage des aires est très ancien, ou s’il est déterminé par des flux d’interférence entre dialectes et langues en contact (avec quelle historicité, périodicité et plausibilité ; quelles relations de centre à périphérie, et à quelles échelles ?).

Ces trois contrepoints au système de Lalanne tel que nous l’avions résumé plus haut permettent de transcender le pessimisme foncier, sur le plan épistémologique, mais aussi glottopolitique, des défenseurs de la primauté du continuum dialectal – sur le plan social, conformément à l’idéologie jacobine républicaine, dont Lalanne reprenait implicitement les prémisses, afin d’étayer une idée bien plus complexe et féconde qu’il développait dans un même temps à l’aide de règles arithmétiques élémentaires.

Ce n’est qu’au terme de son rapport en deux tomes sur ses efforts de classement des aires dialectales en gascon maritime, que Th. Lalanne consent à jeter un regard sur les « divisions traditionnelles » des sous-dialectes (sic) en Gascogne maritime (1952 : 134). L’auteur se réclame alors de la « voix populaire » :

« Pour classer nos sous-dialectes, nous pouvons provisoirement nous en reporter à la voix populaire. Dans l’Est de mon secteur, on entend parler du patois médocain, du girondin, du bazadais, du gabardan, de l’armagnacais, du marensin, du tursan, du chalossais, et enfin du béarnais (que notre enquête écorne à peine ») (op. cit. : 134).

En réalité, le détail des analyses diffusionnistes que Th. Lalanne fournit tout au long de son patient argumentaire se fonde constamment sur de telles divisions, que l’auteur représente sous forme de « combat des aires » pour s’étendre ou résister aux pressions des aires concurrentes, par une dynamique de « modes », ce qui suppose un modèle implicite de circulation des variables, dans l’esprit de Th. Lalanne. Il y a donc un second niveau de lecture de l’émerveillement du dialectologue face à la complexité de la diversité dialectale interne à un domaine linguistique, exprimé conformément à l’épistémé de Lalanne et de son époque, sur le registre du chaos – voire sur le motif scientiste du chaos source de complexité. Les résultats de la dialectométrie par distance d’édition, malgré son mode opératoire trivial, car fondé sur la triade d’opérations ajout, suppressions, substitutions, permet de restituer ces catégories « traditionnelles », issues du composant social des savoirs/connaissances, que sont les « sous-dialectes » connus du sens commun – et trouvant, d’ailleurs, maintes applications dans la sphère du composant pratique, en termes d’aménagement du territoire.

            Explorant ce qu’il perçoit et décrit comme un chaos, Th. Lalanne tente de constituer des « lois de dispersion dialectale » :

« 1) Chaque aire linguistique est indépendante de ses voisines et ne répond que de son antagoniste.

2) les aires se chevauchent et se distribuent en fonction de la loi des grands nombres, en un système uniformément dispersé, tel que la masse de leurs limites garde une densité à peu près homogène sans bourrelets appréciables.

3) L’absence de bourrelet sur les frontières dialectales traditionnelles montre l’indépendance des aires et des sous-dialectes.

4) Le nombre des limites d’aires est sensiblement fonction du kilométrage.

5) Ce coefficient augmente progressivement avec la densité de la population. » (op. cit. : 131-132)

La focale du point de référence répond à ces questions de Lalanne, qui constituent un ensemble d’interrogations heuristiques afin d’appréhender l’ontologie des dialectes, des sous-dialectes ou des aires dialectales, et d’autres dimensions de ces objets, comme la résonance structurale du point d’un réseau par rapport à la totalité du réseau (relation métonymique, entre la partie et le tout d’un système complexe, en l’occurrence, d’un diasystème).

Dans la Fig. 4a-b la centralité du point de référence retenu (Labouheyre) rend très visibles un plateau campaniliste (ou « esprit de clocher », démarcation, dans les termes de Jean Séguy 1973b)[12] ou d’échanges de proximité, d’une portée de 20-30 kms : ce point de référence reçoit un fort écho dans tout le gascon noir, et c’est dans la poche du bazadais au nord et au sud-est que cette résonance s’étiole, faisant bien apparaître les périphéries que la CAH avait initialement révélées. À 40 km seulement d’éloignement par rapport au point de référence retenu, la distance prend sa vitesse ascendante de croisière, en rencontrant les sous-dialectes orientaux du gascon.

 

Fig. 14a. Gradient chromatique de similarité entre Labouheyre et les points environnants du réseau dialectal gascon landais (distance linéaire).

Fig. 14b. Courbe de distance linéaire kms/linguistique pour le point de référence Labouheyre (données de Lalanne 1992)

 

Pour ces mêmes données, la moyenne de la relation entre distance kilométrique et distance réelle, comme le souhaitait voir Th. Lalanne en son temps, est rendue visible dans l’OdC[13] de la figure 15 infra :

Fig. 15. Relation entre distance kilométrique et distance réelle, phonologie

(D’après données de Lartigue 1992)

La courbe qui se plie vers le haut à la limite de 30 kms dans la Fig. 14b connaît cette incurvation en raison de la transition à d’autres sous-dialectes. De telles microdistorsions ne seraient pas visibles à l’œil nu du philologue. Mais avec les outils des interfaces géodésiques, sur lesquelles se fondent les cartes de Gabmap, les souhaits de Lalanne sont exaucés, et on peut voir l’incidence du bourrelet d’isoglosses que visualisait Lalanne dans son esprit en écrivant les lignes que nous venons de citer.

Voyons ce qu’il en est avec un autre point en forte relation organique avec le noyau GL (grand landais) du gascon noir, quoique situé sur sa frange orientale : Sabres. On note 3 pics sur le plateau de démarcation progressive (ou rayon de campanilisme), avant une montée à partir de 50km. Ce n’est pourtant pas une variété de transition, mais plutôt une solide tête de pont du sous-dialecte (en réalité, de la norme) bornais/grand-landais.

 

Fig. 16a. Point de référence : Sabres

(Base de données Lartigue 1992, phonologie)

Fig.16b.Distance géographique/linguistique : Sabres vs le reste du réseau dialectal landais

 

 

Dans les Fig. 17a-b, qui montre le profil géolinguistique d’une variété très périphérique, et indéniablement discrète en tant que sous-dialecte d’un ensemble séparé (le buchois-médocain), la barre de la différenciation démarre très haut (à 0,15 vs 0,05 pour Mimizan, abrégé en Mim ici, par ex), et forme un plateau stable, neutre, qui descend au lieu de monter à partir d’un seuil de 70 km – signe que cette variété conflue avec des formes « d’occitan moyen », qui lui sont plus proches que celles du « gascon noir ». Cependant, notre base de données issue de Lartigue (1992) s’avère moins riche en occurrences (ou tokens) pour ce point ainsi que pour les localités périphériques du réseau, ce qui biaiserait l’analyse en direction d’une répartition « par défaut » des valeurs basses en périphérie.

Fig. 17a. Point de référence : La Teste de Buch

(Base de données Lartigue 1992, phonologie)

Fig. 17b. Distance géographique/linguistique : La Teste de Buch vs le reste du réseau dialectal landais

 

La Fig. 17a trouve son équivalent dans le monde des faits de langue avec cette distribution des aires dans l’espace landais retenu ici, dans les aires des Fig. 18a-b. En 18a on voit les points, en périphérie du gascon noir, où la voyelle moyenne antérieure tonique latine E ne s’est pas « assombrie » en <ë> ; en 18b au contraire, est activée l’aire de l’assombrissement de la voyelle en question – caractéristique du « gascon noir » (v. Lartigue 2003, 2023) :

18a. Aire de <hemnë> ‘femme’, ou « gascon clair »

18b. Aire de <hëmnë> ‘femme’, ou « gascon noir »

 

On voit que cette catégorie de cartes est également en relation métonymique à une vision d’ensemble de la structure du réseau dialectal landais, dont on distingue bien un noyau, ou un cœur (sous-dialectes GL et M associés à G et B, autrement dit grand landais et Marensin associés au girondin et au bazadais au centre) et une périphérie (Buch et Gar), au nord et à l’est.

Enfin, comparons avec un autre point central du réseau dialectal landais : la ville de Mimizan, sur la côte. Son rayon de montée du campanilisme (ou son pendant inverse : le déclin de l’interaction/échange de proximité) atteint 60 km, ce qui suggère un fort rayonnement dans son arrière-pays, dont on voit l’indice dans la ceinture centrale, qui forme une sorte de couloir transversal au sud du domaine. Ce plateau progressif de différenciation connaît une brusque élévation à partir de 60 kms, qui accuse une rupture nette avec le gascon oriental.

 

Fig. 17a. Point de référence : Mimizan

(Base de données Lartigue 1992, phonologie)

Fig. 17b. Distance linéaire géographique/linguistique : Mimizan vs le reste du réseau dialectal landais

 

Th. Lalanne ne pouvait avoir accès à ces « facilités » technologiques (ou cet outillage algorithmique) permettant désormais à quiconque s’inscrit en ligne, de tester des données dialectales sur un logiciel de dialectométrie comme Gabmap, qui n’est autre que, somme toute, une intelligence artificielle de calcul de distance dialectale par algorithme de Levenshtein. On voit le potentiel que recèle une telle application en ligne et surtout, sa mise en libre accès auprès d’un large public, notamment pour l’historiographie de la dialectologie et, partant, de la linguistique générale, au cours de ces deux derniers siècles, avec différents états de données. Surtout, on peut d’autant plus concevoir de projets sur Gabmap que le cumul de connaissances, de postulats et d’hypothèses n’a cessé d’enrichir la dialectologie comme paradigme de recherche d’une grande teneur heuristique pour connaître les limites de la créativité lexicale et grammaticale dans les langues du monde (une préoccupation, d’ailleurs, qui n’était en rien étrangère à Th. Lalanne et surtout, à son prédécesseur en dialectologie landaise, Georges Millardet – cf. Millardet 1910a-c). Lalanne aurait pu savoir davantage, s’il avait pu voir davantage, grâce à une visualisation par chorèmes et dendrèmes des résultats de ses calculs sur les données gasconnes landaises. Et pourtant... Il n’a pas perçu ce que la comparaison des masses et des relations à la moyenne peut accomplir pour rendre visible un champ de forces dialectales en mouvement dans l’espace et dans le temps – comme cet observatoire si précieux, si fécond, que se disputaient depuis déjà des années les romanistes : le gascon landais, avec son « dialecte-vedette » dénommé « gascon noir » sur la base d’une variable prégnante (un simple phénomène de centralisation ou pharyngalisation vocalique, comme en portugais, russe ou slovène de Resia et tant d’autres langues du monde). Or, pour Th. Lalanne, postmoderniste avant l’heure, quoiqu’il ait pu mesurer et quoiqu’il ait pu voir, les dialectes et les sous-dialectes n’existent pas. : il n’existe que des aires.  C’est là ce que nous appelons « l’erreur de Lalanne ». Une erreur qui lui aura tout de même suscité l’envie, le vouloir et le pouvoir d’inventer la dialectométrie. Une erreur féconde, une erreur heuristique. C’est aussi le rôle de l’approche complexionniste que de tirer tout son potentiel heuristique des erreurs d’interprétation, en affinant la méthode. L’erreur de Lalanne nous offre ainsi a posteriori un bel exercice de travail au corps (ancré dans un corpus) sur la connaissance de la connaissance

4. Conclusion et perspectives

Alors que Théobald Lalanne désespérait de trouver une cohérence générale dans l’intrication des aires, qu’il pensait « indépendantes ». En réalité, les aires sont en effet toutes liées, à des degrés divers, que computation et cogitation permettent de mieux comprendre et expliquer, à l’aide d’une modélisation avec des outils usuels en Théorie de la Complexité (complexité algorithmique, vicariance des paramètres, flux d’interactions → auto-organisation → émergence). Mais cette erreur de Lalanne, présystémicien, fut heuristique, puisqu’elle permit l’irruption, en son temps disruptive, d’un paradigme : la dialectologie quantitative – même si, à l’époque, Lalanne puis Séguy n’avaient sous la main que la « bonne vieille règle de trois ». C’est ce paradoxe de l’aporie qui s’avère féconde que nous avons ici traité, selon la boucle possibilités/limites de la connaissance humaine chère à Edgar Morin (op. cit. 203-236). À ce titre, la gnose de Lalanne a suscité bien plus qu’une glose, par le biais d’une technè auxiliaire – les mathématiques – en dialectologie et, partant, en sociologie du langage. Du reste, ses deux essais inédits de 1949 et 1952 relèvent de ce que le sémiologue Umberto Eco appelle opera aperta – une œuvre ouverte (Eco 1962)[14].

Lors de la conception et de la rédaction de ses deux essais fondateurs de la dialectométrie, jamais publiés, si ce n’est à titre familial, mais abondamment cité par les maîtres successifs de la dialectologie toulousaine, l’abbé Lalanne se doutait-il du potentiel de son « rapport », au sein de l’équipe ALG, tant pour le groupe collégial travaillant ce « grand projet » au sein du NALF que pour la linguistique romane ? A la différence de linguistes plus professionnels par leurs fonctions, comme Georges Millardet, qui était bien conscient de prétendre élaborer une théorie générale de la variation dialectale, à travers la géographie linguistique, la philologie et les lois phonétiques et de l’analogie héritées du comparatisme (cf. Millardet 1921), Th. Lalanne ne semble pas se sentir investi d’une fonction programmatique. Le ton – dans son style, inimitable de rigueur et d’esprit d’escalier pince-sans-rire – est souvent ludique, mais il ne trahit pas, comme chez Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont, un positionnement de renversement parodique et burlesque de construits préétablis. Pourtant, il y a une dimension lautréamontesque dans les deux tomes de ce petit rapport inédit de Th. Lalanne (1949-52) : le même positivisme ou matérialisme radical de fond, sous des dehors débonnaires, a posteriori démiurgique, sans avoir l’air d’y toucher.

Ce manuscrit de Lalanne en deux tomes de papier-buvard désormais jauni, tombant en miettes, est sans doute l’une des lectures plus stimulantes qu’on puisse entreprendre aujourd’hui encore, pour la linguistique générale. Nous avons tenté de montrer le génie de l’auteur derrière « l’erreur de Lalanne », qui n’a consisté, somme toute, qu’en une téléologie d’inspiration jacobine pour, paradoxalement, oublier la mémoire collective des pays gascons composant la constellation de ce grand dialecte de l’occitan, fondamentalement divisé entre gascon occidental maritime et girondin vs gascon oriental, pyrénéen et garonnais. Revisiter l’itinéraire d’un maître du passé avec des technologies courantes de nos jours, permet de contribuer à une autre manière d’envisager l’histoire des sciences humaines et sociales, et notamment de la dialectologie, dans ses relations avec la linguistique générale, la Théorie de la Complexité, et d’autres champs interdisciplinaires.

Références

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Weinreich Uriel 1954. Is a structural dialectology possible?, Word, 10(2-3), 388-400.

 

[1] Il faut certes compter avec un autre précurseur de la dialectométrie : le très polyvalent savant polonais Jan Czekanowski (1882-1965), connu pour ses travaux de taxinomie en anthropologie physique, son carnet de terrains en Afrique et… L’invention d’une méthode pour calculer la distance entre les langues, qu’il appliqua au domaine slave. Mais sa méthode était fondamentalement typologique avant l’heure (cf. Kroeber & Chrétien 1937 : 81-88), et non pas isoglottique, et ne s’appliquait pas à des espaces dialectaux, a fortiori à des continuums dialectaux. D’ailleurs, les traits typologiques retenus par Czekanowski pour quantifier les distances linguistiques entre langues slaves se fonde sur les variétés standard, et non sur les dialectes. On ne trouve donc aucunement dans sa démarche de réticulation interponctuelle, pour laquelle la dimension géolinguistique est indispensable. Le génie taxinomique de Jan Czekanowski n’en reste pas moins indéniable, et augure à sa manière de la dialectométrie future. Par ailleurs, précisons pour autant que cela soit nécessaire que la dialectométrie post-Lalanne et séguyenne n’a rien à voir avec la glottochronologie de Morris Swadesh, dont la finalité est reconstructive (quête des protolangues), qui remonte à 1950, donc une année après le premier des deux rapports de Th. Lalanne – même si le premier essai de Swadesh en lexicostatistique portait sur la différenciation interne d’un domaine restreint : les langues salishanes (Swadesh 1950). Pour accéder à nombre de travaux de Lalanne, consulter le portail en ligne réalisé par Frédéric Dinguirard : https://ethnolinguiste.org/, notamment https://ethnolinguiste.org/?s=Lalanne&submit=Rechercher.

[2] Selon le travail typologique dialectal entrepris par Philippe Lartigue qui modélisa cet aire géolectale à partir de plusieurs sources, où on y dénombrerait au total 140 communes (cf. Tableau 1 en annexe).

[3] Lien sur la page https://Gabmap.let.rug.nl/ ; voir aussi Nerbonne & al. 2005, 2011, Nerbonne & Heeringa 2001, Nerbonne & Kretzschmar 2003).

[4] (Cf. Tableau 2).

[5] Sur les Landes géographiques et sociales, v. Brumaud (2021), Lemasson (2021).

[6] Nouvel Atlas Linguistique de la France, initié par Albert Dauzat (ou projet des atlas linguistiques régionaux), dont l’ALG (Atlas linguistique de Gascogne), porté par le CNRS à partir des années 1950.

[7] La pelha de la hemna qu’es nega, trad. fce :‘le vêtement/l’habit de la femme est noir’.

[8] Le fondateur de la dialectologie landaise, ceci dit, n’est autre que Georges Millardet, avec ses deux thèses (1910a-b) qui font figure de pierre de touche incontournable dans le domaine.

[9] Nous utilisons ici la base de données THESOC, constituée et aimablement mise à notre disposition par Guylaine Brun-Trigaud, dans le cadre d’un projet en cours plus ample sur la dialectométrie de l’espace occitan (Léonard & al. [sp].

[10] Métadonnées : 72 localités, 89 items ou cognats, 3157 exemples, 17589 caractères, 17445 occurrences ; tokens uniques : 39.

[11] Une fourchette de distances de l’ordre de 0,20 à 0,55, comme dans nos relevés dialectométriques pour le mazatec, est davantage usuel, cf. Léonard & al. 2016.Mais nous nous situons ici, d’un point de vue macroscopique gallo-roman, à l’échelle d’un sous-dialecte du gascon, lui-même dialecte du domaine occitan.

[12]«  La fonction du dialecte est double, et chacune des deux fonctions est contradictoire à l’autre. La première est d’assurer la communication linguistique entre les groupes humains. La seconde est de permettre à ces groupes de se différencier. » (1973b : 28) et, plus loin « La fonction du dialecte est double : elle permet aux groupes humains en contact et de communiquer et de se démarquer. Mais la deuxième fonction est très humblement subordonnée à la première ; du moins quand on fait les comptes (…). Nous retrouvons le sens étymologique du mot dialecte, qui implique la notion de transition (…), impliquant elle-même la notion de différence » (1973b : 35). Ferdinand de Saussure avait énoncé cette double fonction bien auparavant, dans le chapitre « la force d’intercourse et l’esprit de clocher », dans son CLG : « la propagation des faits de langue est soumise aux mêmes lois que n’importe quelle habitude, la mode par exemple. Dans toute masse humaine deux forces agissant sans cesse simultanément et en sens contraires : d’une part l’esprit particulariste, l’ « esprit de clocher » ; de l’autre, la force d’ « intercourse », qui crée les communications entre les hommes » (de Saussure 1907-[1975] : 281. La distance linéaire, calculée par Gabmap, permet de rendre compte de cette dynamique dualiste de proxémie campaniliste vs extension d’intercourse.

[13] Rappel : OdC = Objet de Connaissance. Nous tenons à cette notion, qui nous a été confiée jadis par Xavier Ravier (communication personnelle).

[14] Non seulement l’argumentaire de Th. Lalanne est roboratif, d’une richesse à couper le souffle, agrémenté de tableaux d’une grande élégance, mais le style de ces deux rapports-samizdats de la dialectométrie émergente est truculent, enjoué, et vaut le détour y compris pour le lecteur contemporain. Ce n’est pas le seul cas de grande opera aperta dans le domaine de la dialectologie, science austère s’il en est, pourtant : nombre d’essais de Jules Gilliéron, de Georges Millardet, de Corrado Isaia Ascoli, de Matteo Bartoli, de Pierre Gardette, de Jean Séguy, de Ricardo Carvalho Calero, de Valeriu Rusu, de Sever Pop, de Pertti Virtaranta (Léonard 2017), et de tant d’autres le sont également.

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La voix comme champ disciplinaire ou penser un objet de savoir dans sa complexité.

Corinne Weber

Notre voix nous rattache à une langue, une culture et une histoire, elle intéresse philosophes, ethnomusiciens, anthropologues, littéraires, psychanalistes et linguistes. Elle nous relie à une collectivité puisque dans les interactions « elle se donne, se perd, s’étouffe, s’altère, s’élève, s’évanouit, se tait (…) se fait oublier dans les paroles prononcées, mais elle agit à travers notre parole par son timbre, son intensité, ses modulations » (De Gaudemard, 2013 eds. : 8). Pour comprendre comment et par quelles caractérisations a évolué l’objet voix,...

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