1. Introduction : positionnement
Outil de la pensée complexe, la dialogique est très proche de la trialectique de Stéphane Lupasco (Morin, 2010:107). S’appuyant sur la logique de l’énergie (Lupasco, 1951) nos recherches sont issues d’une expérience professionnelle dans la gestion de contenus. Relevant de l’architecture de l’information, elles portent sur la construction de sens (Resmini, 2013) en tenant compte de la loi universelle des contraires (Maillé, 2016). Le concept de sens est considéré selon ses trois interprétations complémentaires dans la langue française : direction, intelligibilité, sensibilité (Cassar, 2015). Elles étudient le rapport entre deux processus qui s’appellent l’un l’autre, représenté dans la double boucle de rétroaction « OitO », Organisation de l’information et transformation de l’Organisation.
Figure 1. Boucle « OitO »
Considérant le développement de ces deux processus et faisant l’hypothèse de leur universalité, ces recherches s'inscrivent dans un constructivisme génétique (Piaget, 1973) et font appel à la transdisciplinarité (Nicolescu, 1996), osant l’analogie pour sa richesse créatrice (Hofstadter, Sander, 2013).
Notre pratique a conduit dans un premier temps au développement du concept de graine d’information (Lacombe, 2016). La graine d’information est définie comme une unité élémentaire de sens, directement manipulable par un humain. La mise en relation des graines permet de construire des graphes, représentations réticulaires d’une situation, exprimant aussi bien un point de vue personnel que collectif lorsque le graphe est co-construit. Ce graphe « de tous les chemins » (Parrochia, 1991), assimilable à une cartographie sémantique (Tricot, 2006), vise à dépasser les représentations traditionnelles linéaires et arborescentes. Christophe Tricot décrit le processus de transformation de l’espace informationnel en 3 étapes : Espace Informationnel (EI) Brut —[étape 1]—> EI Structuré —[étape 2]—> EI Représenté —[étape 3]—> EI Visualisé. Cette communication est centrée sur le langage de modélisation permettant d’intégrer dynamiquement une pluralité de points de vue dans une même structure. Dans le processus proposé, l’Espace Informationnel Brut a une double origine, implicite et explicite, combinant les représentations internes des individus, à des signaux, données, informations ou connaissances diversement collectées. Les étapes de Représentation et de Visualisation n’en sont pas moins importantes : elles correspondent à une sélection des informations utiles dans un contexte donné, qui appelle à un filtrage facilitant la compréhension et la navigation, ainsi qu’à une projection adaptée à la restitution et aux interactions attendues avec les utilisateurs. Elles ne sont pas abordées ici.
Cette recherche a été approfondie en sciences de l’information et de la communication (Lacombe, 2021). Elle s’inscrit à l’intersection de différents domaines de cette discipline, en référence à la réflexion conduite au sein de la Conférence permanente des directeurs et directrices des unités de recherche en sciences de l’information et de la communication (Cpdirsic, 2019) : Communications et organisations; Design; Numérique : stratégies, dispositifs et usages; Information, documents et écritures; Organisation des connaissances; Médiation des savoirs, éducation et formation. Elle trouve également écho dans d’autres disciplines, avec lesquelles des passerelles entre concepts et théories ont pu être ébauchées ou restent à construire. Citons en particulier la psychologie avec les schèmes sensori-moteur de Piaget, l’architecture avec le concept de design pattern d’Alexander, ou les sciences du langage avec les opérations de repérage et leur modes de spécification et de construction d’Antoine Culioli (1991, 1999, 2000), ainsi que la logique naturelle de Jean-Blaise Grize (1996, 2002).
Notre point de départ n’a cependant pas été le langage mais directement la complexité du fonctionnement du vivant. La complexité est abordée par la simplexité, l’art de rendre simple, lisible, compréhensible les choses complexes (Berthoz, 2009). La relation est considérée comme première, dans sa dynamique, l’objet étant issu d'un processus de réification d’une relation. Ce point de vue nous relie aux présocratiques, avec le scepticisme radical de Pyrrhon, et la philosophie du devenir d’Héraclite (Bitbol, 2010). Le concept de départ est celui de forme : « il n’est pas de connaissance qui ne soit celle d’une forme, il n’est pas d’art ou de technique qui ne visent à créer ou transformer des formes; toute matière se présente habitée par la forme » (Chazal, 1997:239). Les processus de transformation et d’organisation sont choisis comme premiers invariants, en préférence à ceux de changement et de système. Le changement n'est que la prise de forme de la transformation (D. Bonnet, 2007:141). L'organisation est considérée comme un système en transformation, en équilibre dynamique et précaire entre ordre et désordre (Morin, 1977). Les différents apports de la systémique sont pris en compte, de la cybernétique aux systèmes autopoïétiques (Maturana, Varela, 1980) et ago-antagonistes (Bernard-Weil, 1975). La logique de l’énergie est utilisée comme cause première des processus de transformation et d'organisation.
Dans cette proposition, la forme s’organise par intégration de deux concepts, l’information et l’énergie de transformation. L’organisation relève ainsi du tiers-inclus. L’information est positionnée à l’intersection des processus de transformation et d’organisation. Elle actualise le concept d'énergie, grandeur physique qui caractérise la capacité d'un système (c'est-à-dire son potentiel) « à modifier un état, à produire un travail entraînant un mouvement, un rayonnement électromagnétique ou de la chaleur », pour reprendre la définition de Wikipédia.
Ces travaux de recherche se poursuivent dans trois directions complémentaires, formalisation, diffusion, approfondissement. La formalisation se traduit par la constitution d’un référentiel appelé T!O, thésaurus organisationnel qui inventorie les concepts du modèle, propose des méthodes, et explore des constructions (Lacombe, 2022). La diffusion s’est récemment focalisée sur la production d’un jeu de métaCartes1 qui a pour objectif d’accompagner la transformation d’une organisation par le collectif qui la compose. L’approfondissement se traduit par la formalisation de primitives relationnelles à la source d’un métalangage, en mesure d’englober la variété, les particularismes et limites des langues naturelles, comme ceux des langages formels, qui connaissent une véritable explosion (Berry, 2020). Les premiers sont confrontés à la polysémie et aux trous lexicaux, les seconds à la gestion du contradictoire.
Cet article constitue une actualisation de notre proposition initiale, de représentation de l’information par des graines d’information. La première partie présente le modèle des graines d’information sous l’angle relationnel, ajustant une précédente interprétation, tandis que la seconde définit les relations entre les graines, étendant une précédente modélisation. La troisième partie, illustrative, esquisse un cas d’usage, qui porte sur la modélisation des rapports entre l’individu et le groupe, trois combinaisons étant considérées : le rapport entre individus, le rapport entre groupes d’individus, et le rapport individu-groupe. La quatrième partie, critique, interroge la nature, les conditions de mise en œuvre de ce modèle, et ses usages possibles, abordant en particulier l’opération de traduction, à connotation heuristique. Elle évoque également des pistes de développement, avant d’aborder la conclusion.
2. Les graines d’information sous l’angle relationnel
Rappelons que le concept de graine d’information a émergé d’une pratique professionnelle dans des sociétés de services en informatique selon une approche systémique pour répondre avec efficience2 à des besoins d’organisation dynamique de l’information, indépendamment du domaine d’activité concerné. Suite à une expérimentation dans le domaine de l’archéologie en collaboration avec un anthropologue, ce formalisme a été récemment actualisé (Lacombe, Lukas, 2023). Les graines d’information sont considérées comme des relations entre deux attracteurs définis à partir d’opérateurs mathématiques. Précisons ces notions.
Constituant élémentaire de la théorie du chaos, un attracteur est habituellement défini comme un ensemble d’états vers lequel un système dynamique évolue de façon irréversible en l'absence de perturbations. Nous utilisons le terme d’attracteur non pas pour modéliser des ensembles d’états mais des dynamiques. Il en est de même pour les opérateurs mathématiques, interprétés non pas comme des signes supports d’opérations arithmétiques entre des opérandes, mais comme des signes porteurs d’une dynamique. Agissant directement sur la forme, l’usage de ces opérateurs est unaire avant d’être binaire. Par exemple, en appliquant l’addition à la forme ballon : son volume augmente (+) quand il se gonfle sous l’influence de la chaleur, et se réduit (-) par dégonflement. Il est également perçu réduit (-) quand il s’éloigne.
En arithmétique, les quatre opérateurs élémentaires sont traditionnellement considérés par couples : (+,-) et (×,÷). L’addition (+) et la soustraction (-) sont dans une symétrie d’opposition, autour du pivot 0, qui est également son élément neutre. La multiplication (×) et la division (÷) sont dans une symétrie d’inversion, autour du pivot 1, qui est également son élément neutre. Nous proposons de considérer les couples différemment, en référence à la logique de l'énergie : d'une part le couple (×,-), comme deux primitives de la transformation dans une symétrie d’antagonisme, d'autre part le couple (+,÷), comme deux primitives de l'organisation dans une symétrie de complémentarité.
La transformation est ainsi modélisée à partir du couple (×,-), formé des attracteurs appelés multiplicateur (×) et réducteur (-). Dans le monde matériel-énergétique, le multiplicateur (×) a pour effet concret d’augmenter les dimensions. C’est le processus de genèse du nombre par généralisation mis en évidence par Piaget qui permet de traduire une multiplication en addition (3 × 3 = 3 + 3 + 3). Concrètement, en tenant compte de la dimension physique, l’équivalence n’existe pas : (3 m × 3 m = 9 m2) ≠ (3 m + 3 m + 3 m = 9 m). Symétriquement, le réducteur (-) tend physiquement vers un point géométrique à l’emplacement de la position de l’objet considéré, générant donc une abstraction : le retrait des couches d’un oignon le fait disparaître; un ballon poreux qui se dégonfle se voit vidé de son air, il ne reste plus que son enveloppe. A l’échelle macroscopique la matière offre une résistance; énergétiquement, la loi de la gravité traduit une potentialisation. Informationnellement, le concept correspond à un gommage des différences. En tant que porteurs des phénomènes d’actualisation et de potentialisation de la logique de l'énergie, nous interprétons donc les attracteurs multiplicateur (×) et réducteur (-) comme deux primitives de la transformation. La conjonction de ces opposés correspond mathématiquement à l’intégration, d’où un troisième attracteur de transformation, l’intégrateur (∫), assimilé au tiers inclus de la logique de l'énergie, équilibre dynamique instable. A titre d’exemple, le vivant présente la propriété d’intégrer via la respiration l’expansion de la forme dans de multiples directions (×) lors de l‘inspiration et sa réduction (-) lors de l‘expiration. De cette modélisation énergétique de la transformation émerge le concept d’espace, traduisible par trois notions dans cette même logique : le lieu (potentialisation), la distance (actualisation) et leur conjonction, le réseau (tiers inclus).
La figure 2 illustre la logique de l’énergie en deux vues : la première sur l’antagonisme entre actualisation et potentialisation, la seconde sur le tiers-inclus qui correspond à la conjonction des opposés.
Figure 2. Logique de l’énergie (Lupasco)
Les trois vues de la figure 3 illustrent la modélisation de la transformation à partir d’une interprétation de la logique de l’énergie avec la relation d'antagonisme entre les deux attracteurs multiplicateur (×) et réducteur (-), le tiers inclus représenté par l’attracteur intégrateur (∫), le champ de transformation résultant de ces trois attracteurs.
Figure 3. Modélisation de la Transformation
Symétriquement, nous proposons une modélisation de l'organisation à partir du couple (+,÷), formé des attracteurs appelés ajouteur (+) et séparateur (÷), dans une symétrie de complémentarité. De cette modélisation de l’organisation émerge le concept de temps, traduisible par trois notions dans la logique de l’énergie : l’instant (potentialisation, par la mémoire), la durée3 (actualisation) et leur conjonction, le cycle (tiers inclus). En effet quelle que soit son échelle – organe, organisme, organisation sociale – toute organisation doit s'alimenter (+) pour survivre, et pour cela ingérer énergie, matière et information, se rapportant (÷) à son milieu de vie. Ces deux opérateurs définissent deux directions opposées : vers l’interne, vers l’externe. Nous introduisons un tiers inclus, le dérivateur (∂), centre organisateur porteur de l’orientation effective. Ce centre4 est un équivalent dynamique du centre de gravité. Il peut être contrôlé par l’interne (cas du libre arbitre) ou piloté par l’externe (asservissement).
Les deux vues de la figure 4 illustrent la suite du modèle, avec le champ organisationnel symétrique au champ de transformation, tous deux générés par 3 attracteurs, et le positionnement du champ informationnel à leur intersection, entre les 6 attracteurs. De cette modélisation de l’information émerge le concept de sens, traduisible par les trois notions mentionnées en introduction : la sensibilité de l’organisation au milieu externe, qui se se déploient selon de multiples axes (×); la direction suivie par l’organisation, qui représente une réduction de ceux-ci (-); l’intelligibilité de la situation, obtenue par intégration des données externes et internes (∫).
Figure 4. Modélisation des champ organisationnel et informationnel
La description de la transformation est modélisée selon le triptyque « Ki-Fé-Koi ». De même, l’organisation est modélisée sur 3 niveaux organisationnels « Corps, Contexte, Cœur », soit « Organisme, Organisation sociale, Organe », ou bien « Interne, Externe, Centre ». Notons que l’interne et l’externe dépendent du point de vue. Transposable sur différents niveaux d’organisation, ce modèle est fractal.
Les graines d’information sont définies dans le champ informationnel. Le modèle distingue seulement 10 espèces de graines. Le plan concret des descripteurs, compte 9 espèces notées de 1 à 9, définies au croisement d’un axe de transformation et d’un axe organisationnel. Orthogonal à ce plan, l’axe abstrait des interpréteurs compte uniquement 1 espèce, notée 0. Sur cet axe informationnel, les concepts se répartissent hiérarchiquement en différentes couches. L'usage de chiffres au lieu de mots traduit l'intention de dépasser les limites du langage naturel. Le tableau 1 répertorie les 10 espèces de graines, en donnant pour chaque espèce des exemples de classes et sous-classes. Celles-ci sont déterminées en fonction du domaine d’application lors d’une étape de traduction des termes métier en graines. Cette première étape d’appropriation est essentielle pour un bon usage de cette modélisation. En fonction de la divergence des interprétations, elle peut conduire à des débats. Ceux-ci ont pour intérêt de dissiper les éventuels malentendus. Cette première étape a également une fonction heuristique : toutes les espèces de graine devraient être présentes dans une représentation équilibrée. Les éventuels manques appellent à la collecte d’informations complémentaires. L’homogénéité de la répartition et le périmètre de la représentation sont également abordés lors de cette première étape.
Plan |
Codage |
Attract. Organ. |
Attract. Transf. |
méta-classe |
exemples de classes et sous-classes |
Descripteur |
1 |
+ |
- |
KI interne |
être animé : acteur, personne, individu, être vivant, robot, cellule… (agent avec potentiel) |
2 |
+ |
∫ |
FE interne |
temps vécu : évènement, rencontre, expérience, réunion… |
|
3 |
+ |
× |
KOI interne |
ressource : réalisation, œuvre, production, équipement… |
|
4 |
÷ |
× |
KOI externe |
générateur de 3 : service, méthode… (répond à la question Comment) |
|
5 |
÷ |
∫ |
FE externe |
groupe de 2 : projet, programme de recherche, de formation, mission… (traduit la durée) |
|
6 |
÷ |
- |
KI externe |
groupe de 1 : équipe, association, organisation, entreprise… |
|
7 |
∂ |
- |
KI central |
rôle : compétence, capacité, fonction… |
|
8 |
∂ |
∫ |
FE central |
instant : décision, commande, instruction… (traduit l'immédiateté) |
|
9 |
∂ |
× |
KOI central |
objectif : intention, idée, but… (répond à la question Pourquoi) |
|
Interpréteur |
0 |
+ ÷ ∂ |
× - ∫ |
abstraction |
concept : thème, sujet, mot-clé, valeur |
Les vues de la figure 5 illustrent deux interprétations complémentaires des graines d’information : leur positionnement dans le champ informationnel et leur rapport aux axes de transformation d’organisation et d’information. Issues de relations, les graines expriment des polarités. Ce ne sont pas des catégories. La vue grille est privilégiée (sans mention des opérateurs) pour faciliter la mémorisation de ces codes aux utilisateurs de la méthode.
Figure 5. Graines d’information
Le terme de graine exprime à la fois un concentré et un potentiel. Les graines d’information prennent leur signification par leur mise en relation pour former des graphes organisationnels comme illustré par la figure 6, qui présente une vue partielle de l’activité du laboratoire LHUMAIN.
Figure 6. Exemple de graphe organisationnel
3. Relations entre les graines d’information
Le modèle logique des relations entre graines est présenté à titre d’hypothèse exploratoire. Ce second niveau de relations se compose de deux ensembles. Le premier regroupe trois relations au cœur de la transformation. Au multiplicateur (×) est associée la relation de corrélation [--], qui traduit un simple rapport de dépendance. Au réducteur (-) est associé l’unisson [<>], relation d’ordre fusionnelle. Ces deux relations sont symétriques. Nous y attachons respectivement les notions de discontinuité et de continuité. L’intégrateur (∫) porte une relation asymétrique qui se traduit par un rapport de causalité [->] et de rétro-causalité [<-], autrement dit d’effection et d’affection. Notons la nature plutôt énergétique de la première et informationnelle de la seconde. Dans le cas d'une simulation, les deux sont de nature informationnelle.
Inspiré des interactions du vivant, un deuxième ensemble de relations d’ordre organisationnel est nouvellement proposé. Il se compose d’une relation symétrique d’opposition [><] porté par le dérivateur (∂), et de deux couples de relations. Le couple appropriation [<<] privation [>>] est porté par l’ajouteur (+), il est d’ordre matériel-énergétique. Le couple domination [-<] soumission [>-] est porté par le séparateur (÷), il est d’ordre informationnel-communicationnel, à la source de la notion de pouvoir. Le tableau 2 récapitule ces 9 relations. Il présente également une analogie avec les interactions biologiques entre espèces.
Champ |
Attracteur |
Codage |
Relation élémentaire |
Interaction biologique |
Transformation |
∫ |
-> |
effection : causalité, activation, facteur, production |
commensalisme |
<- |
affection : rétrocausalité, rétroaction |
|||
× |
-- |
corrélation : synchronisation (discontinuité) |
neutralisme |
|
- |
<> |
unisson : accord, symbiose, union, synchronicité, fusion, amour (continuité) |
mutualisme |
|
Organisation |
∂ |
>< |
opposition : résistance, contradiction, inhibition (appelle l'accommodation) |
compétition |
+ |
<< |
appropriation : prédation, possession (appelle l'assimilation) |
parasitisme |
|
>> |
privation : proie |
|||
÷ |
-< |
domination : maîtrise, domestication (induit l'asservissement) |
amensalisme |
|
>- |
soumission : aliénation sociale, assujettissement |
Pour éclairer cette analogie, nous avons ajouté au diagramme simplifié des six principales interactions biologiques5 les trois signes (< - >) qui construisent les relations proposées. Cette interprétation est illustrée par la figure 7. Les relations asymétriques ne sont représentées que dans une seule direction. Précisons également que les termes de parasitisme et de prédation sont liés à la taille des espèces : le parasite est plus petit que sa proie, le prédateur plus grand.
Figure 7. Interprétation du diagramme des six principales interactions biologiques
Le rapport des relations entre graines d’information aux six attracteurs est illustré par la figure 8.
Figure 8. Relations entre graines d'information en rapport aux attracteurs
Ce schéma illustre le positionnement du contradictoire au cœur du vivant : chaque forme organisationnelle lutte pour sa survie. Cherchant à conserver son identité par rapport à son milieu, elle est en compétition avec d’autres entités dans un espace commun. Le rapport d’opposition, relation [><], est donc ontologique. Dans le champ organisationnel, il induit un double rapport d’appropriation-privation par l’interne et de domination-soumission au milieu externe, pour maîtriser son milieu de vie. Cette tragédie de l’organisation6 est à mettre en rapport à la tragédie de l’énergie (Lupasco, 1970). La contradiction est résolue par l’action (graine 8), relation causale, effective, qui peut générer en retour un affect. Le symétrique de la relation d’opposition [><] est la relation d’unisson [<>] obtenue par le groupe (graine 6), externe à l’individu. Pour faciliter la compréhension de ce modèle, la figure 9 propose une représentation alternative des 9 relations entre graines qui fait apparaître, encadrée au centre, la relation de corrélation [--]. Elle est utilisée par défaut lors de la mise en relation de graines.
Figure 9. Relations entre Graines (développement)
La partie suivante se focalise sur l’étude du Ki, c'est-à-dire le rapport organisationnel entre les graines 1, 6 et 7, qui désignent respectivement l’acteur, le groupe et le rôle, dans le contexte des organisations sociales.
4. Cas d’usage, rapports entre l’individu et le groupe
Commençons par préciser quelques points :
a) Le modèle proposé n’impose pas d’ordre de traitement de l’information. Il est possible de créer une première graine de n'importe quelle espèce.
b) Les trois variables à considérer, espèce de graine, occurrence et type de relation sont la source d’une explosion combinatoire. Par exemple 1A—1B désigne les 9 relations possibles entre deux individus A et B, 1A—1A désigne les relations de l’individu A avec lui-même, 1A—6A désigne les relations d’un individu A avec un groupe A. Ne cherchant pas à traiter ici l’intégralité des cas, l'objectif est dans un premier temps d’apporter un éclairage sur quelques bonnes pratiques dans l’usage des graines d’information. La première est de ne considérer que les graines qui font sens relativement à une situation donnée.
c) La notion de groupe est ouverte. En considérant simplement les humains, elle va du simple binôme à l’ensemble des êtres humains ayant existé sur terre, le décompte étant bien sûr impossible. Un groupe peut également combiner acteur humain et non humain, au sens de Bruno Latour. La taille du groupe aura évidemment une influence sur les comportements. Dans la gestion des relations, la théorie de la proxémie de Hall (1971), l'étude des distances sociales entre les individus, mérite d'être prise en compte ainsi que les limites cognitives, comme le nombre de Dunbar, limite naturelle de la taille du réseau social d’un humain.
d) Comme indiqué précédemment, des trois concepts centraux du modèle T!O — Transformation, Organisation et Information — émergent respectivement ceux d’espace, de temps et de sens. En tant qu'unité de sens, chaque graine a ainsi son propre contexte spatio-temporel défini via des attributs communs à l'ensemble des espèces de graines (périmètre de validité, pour une représentation).
e) La notion d’intelligibilité renvoie à celle d’intelligence, capacité d’adaptation, comme le rappelle l’encyclopédie Wikipédia : « L'intelligence a été décrite comme une faculté d'adaptation (apprentissage pour s'adapter à l'environnement) ou au contraire, faculté de modifier l'environnement pour l'adapter à ses propres besoins ». La conjugaison de ces opposés relève du tiers-inclus. D’après Alain Berthoz, la décision entre ces deux choix est à relier avant tout à l’action (Berthoz, 1997, 2003). Quant au développement de l’intelligence, on notera que les deux approches complémentaires de Piaget et Vygotski, de l’individuel au social et du social à l’individuel (Lecomte, 2001) s’inscrivent dans la logique du tiers inclus.
f) Considérer l’acteur humain (graine 1) suppose de prendre en compte la « triade constitutive du concept d’homme » (Morin, 1977:13), à la fois individu, espèce et société. Notons que cette distinction semble concerner l’ensemble de l’organisation du vivant en élargissant le concept de société aux colonies (biologiques), meutes (canidés), troupeaux... Notons également que l’espèce regroupe des individus au code génétique compatible, pour leur (re)production. Notre notion de groupe (graine 6) peut intégrer des organismes d’espèces différentes, c'est-à-dire des écosystèmes.
g) Le concept de code est central dans le modèle. Interprété comme une règle, il intervient au niveau des « trois matières » (Lupasco, 1960). Au niveau de la matière physique, il correspond aux interactions fondamentales et principes de la thermodynamique. Au niveau de la matière vivante, il s’exprime par la génétique. Au niveau de la matière psychique, il englobe les codes sociaux, informels ou juridiques, auxquels nous incluons les codes de commande des systèmes techniques (algorithmes) qui architecturent de plus en plus nos sociétés. Les architectures s'interprètent dans la logique de l'énergie : sous-tendues par des codes, elles couplent une structure (potentialisation) qui induit des comportements des éléments qui l'habitent, et la font évoluer en retour (actualisation). Le code (tiers inclus) peut lui-même évoluer, sous l'influence de facteurs internes ou externes à l'organisation considérée.
Les vues de la figure 10 illustrent l’inscription dans le modèle T!O des points d) et f).
Figure 10. Rapport à l’espace temps et Organisation du vivant
La vue n°10 de la figure 9 invite à analyser la relation entre un acteur et un groupe via l’intermédiaire du rôle, soit la chaîne (1)—(7)—(6). Nous empruntons la définition du rôle à l'holacratie, développée par Robertson en 2001 : un rôle englobe un objectif à atteindre, des responsabilités à assumer, un ou plusieurs domaines à contrôler. Pour optimiser le fonctionnement d’un groupe les conditions suivantes sont à remplir :
-
un rôle s’exerce dans un espace (périmètre) et un temps donné;
-
au sein d’un groupe, plusieurs acteurs, ne peuvent remplir le même rôle dans le même contexte (en même temps dans le même espace);
-
un rôle ne pouvant être tenu en continu, une alternance des acteurs est à prévoir, qui appelle un transfert d'informations et de compétences;
-
la connaissance des rôles des différents collaborateurs est essentielle pour un fonctionnement fluide du groupe;
-
la tenue d’un rôle appelle les compétences associées nécessaires;
-
un rôle non attribué ou mal défini est un point faible de l'organisation, qui risque de perturber le fonctionnement de ses services (graine 4), le déroulement de ses projets (graine 5), la cohésion de ses équipes (graine 6) et donc l'atteinte des objectifs poursuivis (graine 9);
-
le cumul des rôles se heurte à des limite qui dépendent des capacités de l’acteur;
-
la délégation est un processus de répartition des rôles;
-
la confiance (faire confiance, avoir confiance en soi) et la motivation sont des facteurs clés dans la tenue des rôles;
-
la délégation d’un rôle à un automate génère un besoin d’un rôle de gestion de cet automate;
-
un rôle est associé à un objectif (graine 9). Si le contexte change, l’objectif est susceptible de changer, donc le rôle.
Ces différents énoncés sont potentiellement formalisables dans un langage de programmation, par exemple de gestion de contraintes. Ils font ressortir la question des limites ou seuils, qui concernent les différents niveaux d’interventions au sein d’une organisation, ceux-ci pouvant être analysé à l’aide des attracteurs : le niveau stratégique s’occupe du potentiel (-), le niveau opérationnel, de l’actualisation (×), à leur interface le niveau organisationnelle intègre (∫) les contraintes issues de ces deux niveaux. Pour rester agile, le trop plein qui fige le mouvement est à éviter, il s’agit de jouer sur les vides et les tensions, dans des limites supportables par l’organisation. L’opposition se manifestera à partir d’une trop grande régularité, un fonctionnement répétitif réducteur (-) qui appellera un changement de direction par actualisation (×). Mais pour qu’un groupe (graine 6) atteigne ses objectifs (graines 9), la difficulté pratique est de trouver des acteurs (graines 1) en capacité de tenir leurs rôles (graines 7). Il s’agit d’une question de formation et de sélection.
Il existe un domaine où ces règles sont globalement respectées, celui du sport ou du spectacle. Ces formes organisationnelles relèvent du jeu que leur ressort soit la compétition (Agôn), le hasard (Alea), le simulacre (Mimicry) ou le vertige (Ilinx) d’après la classification de Roger Caillois (1958). Elles sont ainsi soumises à des règles connues et relativement stables. Le monde de l’entreprise est plus complexe car plus ouvert, mêlant compétition et collaboration (coopétition). Les règles sont mouvantes, et les objectifs variables, appelant un ajustement continu.
Aux relations entre Acteurs et Groupes (1—6) s'ajoutent les relations directes entre Acteurs (1—1) et entre Groupes (6—6). On comprendra que le modèle relationnel proposé permet de représenter et d’analyser les différentes formes de dépendance.
5. Critique et questionnement
Cette partie interroge la nature de cette modélisation, ses conditions de mise en œuvre, et aborde quelques pistes d’évolutions pour combler les manques actuels.
5.1. Nature de la modélisation : la question du code
Concernant la nature de la modélisation, le modèle proposé se présente dans cette dernière version comme un code permettant de décrire le fonctionnement de l’organisation. Il se rapproche en cela de la codification des éléments chimiques de Mendeleïev, qui décrit la structure de la matière et de ses possibles interactions, ou du code génétique, qui décrit le potentiel de développement du vivant, l’expression des gènes restant sous l’influence du contexte (épigénétique). Rappelons les définitions principales du terme code d’après le CNRTL : « I. Ensemble de lois, de règles à observer », plus précisément « Ensemble de règles, d'usages qu'il convient d'observer, qui tendent à faire loi » et « II. Ensemble de signes rendant possible la communication », plus précisément un « Système de symboles convenus, permettant l'enregistrement et la transmission d'une information. » Le modèle T!O esquisse ainsi un langage dédié à la compréhension des principes de transformation et d’organisation, en s'appuyant sur la logique de l’énergie.
Sa première particularité est de n’utiliser qu’un ensemble réduit de primitives sémantiques. Cette compacité pourrait être comparée à celle des systèmes de formalisation de l’intelligence artificielle, comme les 14 primitives sémantiques de Schank, ou les 6 de l’IEML de Pierre Lévy, « Langue (mathématique) dont la finalité principale est de formaliser la description des concepts et de leurs connexions » (Levy, 2023). Ce langage construit, qui possède la puissance d'expression d'une langue naturelle et la régularité d'une algèbre, partage avec le modèle T!O l’intention de travailler en intelligence collective. Mais si nous retrouvons un parallèle entre le dialogisme Virtuel-Actuel et l’antagonisme Potentialisation-Actualisation et pouvons établir un rapprochement entre la triade Signe-Etre-Chose et le processus de transformation Ki-Fé-Koi, l’approche reste cependant fort différente. Dans l’IEML chaque terme de la langue est traduisible par combinaison via une grammaire, à partir des 6 primitives qui produisent une table paradigmatique de 25 lettres, puis récursivement un dictionnaire complet permettant de traduire des phrases en codes sémantiques, manipulables programmatiquement. Dans T!O, l’opération de traduction est réalisée différemment, dynamiquement à l’aide d’attracteurs. Elle n'est pas normative mais oscille entre une opération de réduction (-) par rattachement aux primitives relationnelles que sont les espèces de graines et leurs relations, et une opération d’expansion (×) via l’expression de la diversité des points de vue, voire de la variété des interprétations. L’objectif est de s’entendre sur le sens commun par intégration de ceux-ci (∫) en s’appuyant sur des invariants logique de description, codifiant des principes universels de transformation et d’organisation.
La notion de code pose cependant plusieurs questions, comme celles métaphysiques de sa source et de sa finalité, mais surtout d'un point de vue pragmatique, celles de ses limites, en particulier de sa généralité et de sa portée, et donc de l'autonomie de l'organisation à laquelle il s'applique. En effet, fixant des règles, un code tend vers le déterminisme, posant la questions des degrés de liberté autorisés. Cette question de l'autonomie mériterait une étude spécifique. Rappelons simplement sa définition, « fait de se gouverner d'après ses propres lois » (CNRTL), et son étymologie, du grec ancien νόμος, nómos (« loi ») et νομός, nomós (« division, district »), qui rappelle l'aphorisme « diviser pour mieux régner ». Le code proposé semble s'appliquer à différentes échelles, même si nous n'en avons esquissé l'usage qu'au niveau des formes d'organisations sociales. On notera que son champ d'application interfère avec d'autres familles de codes, en particulier le code juridique et le code informatique. On notera également que si l'établissement des règles juridiques est relativement encadré, l'écriture du code informatique l'est beaucoup moins, alors que celui-ci génère simultanément des effets externes et des affects internes, d'où la régulation en cours des plateformes pour contrer le pouvoir des acteurs dominant l'internet. Les attracteurs, avec leurs antagonismes et leurs conjonctions, définissent un espace de transformation que l’on observe dans le vivant. Ils délimitent un espace de liberté qui permet le déploiement d’une variété infinie de formes, mais dans une continuité globale de l’existant, même si des ruptures sont possibles. Cette notion de limite est cruciale, constatant que l’humain est comme conditionné à les dépasser (Stephant, 2022) : il s’approprie son environnement matériel [<<] et cherche à dominer son environnement informationnel [-<], sans réellement tenir compte des alertes (Meadows et al., 1972, 2012) et du dérèglement de l’organisme qu’est la planète (Lovelock, 1979). A défaut de finalité, c’est la direction qui est à questionner, plus précisément la trajectoire et ses bifurcations. Rappelons que les attracteurs nous ont déjà permis de proposer une modélisation des trajectoires, en particulier celle de l’organisme humain en tant qu'individu à partir des stades du développement psychosocial d’Erik Erikson, celle des organisations sociales à partir des étapes de croissance du modèle de Larry Greiner, ainsi que celle de l'évolution par stades de la conscience humaine (matière psychique) et des systèmes de valeurs qui déterminent les rapports à la réalité à partir de la spirale dynamique de Don Beck et Chris Cowan issue des théories de Clare W. Graves (Lacombe, 2021). Nous observons également un phénomène qui apporte quelques éclaircissements, celui de résonance (Lacombe, Vieira, 2022).
5.2. Conditions de mise en œuvre
Les conditions de mise en œuvre appellent aux questions quoi et comment, sous-tendues par la question pourquoi. Les grands penseurs du langage y apportent de multiples réponses complémentaires. A titre d’exemple, et sans recherche d’exhaustivité, nous pouvons rappeler que le langage sert à dire le monde (Mills), à agir sur le monde (Austin), selon une vision du monde (Sapir-Whorf). Il intègre différentes sous-fonctions, dont une fonction poétique (Jakobson). La fonction du langage étant de communiquer, ce sont les contraintes de pertinence qui le structurent (Martinet). Signalons également que les mots sont de purs conventions (Ockham), et que derrière les mots il y a un pouvoir (Bourdieu). Si le langage est un instinct (Pinker), il servirait à éviter la guerre (Dessales) et maintenir les relations sociales (Dunbar).
L’originalité du code proposé est sa concision. Son principal intérêt est son heuristique. Il permet ainsi de traduire voir affiner ou approfondir des modèles et théories existants, comme nous l’avons par exemple initié avec la description de concepts, de modèles et de processus.
Sa mise en œuvre se heurte cependant à certaines difficultés. L’assimilation du concept de graines d’information suppose une accommodation car notre éducation a ancré un certain nombre de concepts dont nous proposons une articulation différente. Son haut degré d’abstraction (-) appelle à multiplier (x) des exemples d’usages, et à proposer des méthodes permettant de l’intégrer (∫) à des problématiques et outils existants. Son application interdisciplinaire est un atout mais il appelle une première étape de traduction du langage du domaine vers le langage des graines, qui doit être présenté au préalable. C’est pour faciliter ce premier accompagnement qu’a été réalisé un prototype d’un jeu de métaCartes, en cours d'expérimentation. Le développement du modèle T!O suit ainsi un processus organique, conformément à sa nature, à l’écart du paysage médiatique immersif des plateformes numériques mondialisées.
5.3. Pistes d’évolution
Même si le noyau du modèle semble faire preuve d’une certaine stabilité, en particulier après les récents ajustements présentés dans cet article, de nombreux développements restent à envisager. Pour aller au-delà de la logique de l’énergie, des 6 attracteurs et de leurs dérivés que sont les graines d’information et les primitives relationnelles, l’apport des spécialistes du langage pourrait être précieux, comme par exemple la théorie de l’énonciation d’Antoine Culioli avec le réseau de type notionnels et le concept d’opérateurs en linguistique (Desclés, 2009). Les recherches issues de la logique naturelle du philosophe Jean-Blaise Grize, avec lequel nous partageons le concept clé de schématisation, sont également à explorer.
Les formalismes mathématiques associés aux notions d’opération, d’opérateur et d’attracteur font partie des pistes d’approfondissement envisagées, en particulier pour des usages informatiques. Parmis ceux-ci, les travaux du mathématicien René Thom sur la théorie des catastrophes (Thom, 1977), leur développement sémiophysique avec les concepts de prégnance et de saillance (Thom, 1988) ainsi que l’application de la morphogenèse au langage sont des sources d’inspiration à approfondir : « toute morphologie est le résultat d’un conflit » (Thom, 1983: 140). Aborder la singularité physique du vivant qui résiste aux mathématiques (Bailly, Longo, 2006) avec une autre logique, en l’occurrence celle de l’énergie, est une entreprise qui nécessite un panel de compétences. Elle ne peut donc s’envisager que dans la durée et collectivement. Mais permettant déjà de questionner l’activité et les rôles de l’humain, en croisant différents regards, le modèle T!O présente l’avantage d’initier cette démarche librement, avec en particulier une ouverture aux ontologies proposées par l'anthropologue Philippe Descola (2005). Son système s’interprète à l’aide des attracteurs, croisant ceux de transformation qui portent la différenciation (×) et l’identité (-), avec ceux d’organisation qui portent l'intériorité (+) et l’extériorité (÷). Ce point est développé dans l’encadré 1.
Encadré 1. Ontologies de Philippe Descola
L’étude des peuples premiers a amené l’anthropologue à distinguer quatre modes d’identification parmi les sociétés humaines, à partir d’une double dichotomie entre physicalité et psychisme d'une part, identité et différenciation d’autre part. Cet auteur associe ainsi la société occidentale au naturalisme dans lequel l’identité physique naturelle, qui est décrite unitairement à l’aide d’un même groupe de composants (particules élémentaires et code génétique), s’oppose à la différence des psychismes culturels. Les trois autres points de vue, appelés animisme, totémisme et analogisme, sont intégrés dans le tableau ci-dessous, qui corrèle l’ontologie de Descola aux attracteurs de transformation et d’organisation du référentiel T!O. Dans cette présentation, chaque ontologie apparaît deux fois : le naturalisme partage l’identité de la physicalité avec le totémisme et la différence de psychisme avec l’analogisme, tandis que l’animisme lui est totalement opposé.
transformation organisation |
attracteur (-) |
attracteur (×) |
attracteur (÷) : espace externe ↔ physicalité |
naturalisme totémisme |
animisme analogisme |
attracteur (+) : espace interne ↔ psychisme |
animisme totémisme |
naturalisme analogisme |
6. Conclusion
Cet article a présenté les dernières évolutions d’un modèle d’organisation de l’information qui permet d’aborder collectivement la complexité de la transformation de l’organisation. Construit à partir de la logique de l’énergie du philosophe Stéphane Lupasco, il constitue l’esquisse d’un langage qui cherche à répondre à la question pragmatique « comment rendre nos idées claires » (Peirce, 1879). A l’ère numérique, l’enjeu est de passer par-dessus l’éclatement des savoirs. Nous défendons « la posture qui prend en compte la sociologie en actes des pratiques et des usages, ainsi que les phénomènes de co-construction des connaissances ». (Noyer, 2010)
Après une introduction positionnant nos travaux de recherche, la première partie reformalise le concept de graine d’information dans une perspective relationnelle à partir de 6 opérateurs mathématiques élémentaires considérés comme des attracteurs. A ceux-ci ont récemment été associées 6 primitives relationnelles présentées en seconde partie. Illustrative, la troisième partie montre comment le rôle (graine 7, tiers inclus), trouve une place déterminante entre l’individu (graine 1, potentiel actualisant) et le groupe (graine 6, potentiel externalisé, de niveau d'organisation supérieur). Ces recherches exploratoires se présentent sous la forme d’un code pour construire du sens commun. Si elles restent à approfondir, en particulier par les apports des sciences du langage, elles sont dès à présent exploitables pour construire des représentations individuelles et collectives porteuses de sens, comme le montrent des premiers cas d’application en archéologie (Reich et al., 2023).
Bibliographie
Bailly, F., Longo, G. (2006). Mathématiques et sciences de la nature, La singularité physique du vivant. Paris : Hermann.
Berry, G. (2020). Les langages informatiques : de la pensée à l’exécution automatique. Langue et science, langage et pensée. Paris : Odile Jacob, 71-90.
Berthoz, A. (1997). Le sens du mouvement. Paris : Odile Jacob.
Berthoz, A. (2003). La décision. Paris : Odile Jacob.
Berthoz, A. (2009). La simplexité. Paris : Odile Jacob.
Bitbol, M. (2010). De l'intérieur du monde: pour une philosophie et une science des relations. Paris : Flammarion.
Bonnet, D. (2007). Le pilotage de la transformation en environnement de coopération inter-organisationnelle : essence socio-économique de la transformation et des stratégies de transformation. Thèse de doctorat en Sciences de gestion, sous la direction d’Henri Savall. Université Jean Moulin Lyon 3.
Caillois, R. (1958). Les jeux et les hommes. Paris : Gallimard.
Cardon, A. (2005). La complexité organisée - systèmes adaptatifs et champ organisationnel. Paris : Lavoisier.
Cassar, E. (2015). Des villes sensibles aux architectures subtiles. Conférence à TEDxLyon. URL : https://youtu.be/oaIQbh6BCmE
Chazal, G. (1997). Formes, figures, réalités. Seyssel : Champ Vallon.
CNRTL, Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales. https://www.cnrtl.fr/definition/
CPDirSIC (2019). Dynamique des recherches en Sciences de l’information et de la communication. http://cpdirsic.fr/wp-content/uploads/2019/08/dyresic-web-08-2019.pdf
Culioli A. (1991). Pour une linguistique de l'énonciation. Opérations et représentations, tome 1. Paris : Ophrys.
Culioli A. (1999). Pour une linguistique de l'énonciation. Formalisation et opérations de repérage, tome 2. Paris : Ophrys.
Culioli A. (2000). Pour une linguistique de l'énonciation. Domaine notionnel, tome 3. Paris : Ophrys.
Descola, P. (2005). Par-delà nature et culture. Paris : Gallimard.
Desclés, J.-P. (2009). Le concept d’opérateur en linguistique. Mathématiques et langage, Histoire Épistémologie Langage, 31-1, 75-98. https://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_2009_num_31_1_3107
Gibert, P. (1980). Le contrôle de gestion dans les organisations publiques. Paris : Ed. Organisation.
Grize, J.-B. (1996). Logique naturelle et communication. Paris : PUF.
Grize, J.-B. (2002). Logique et langage. Paris : Ophrys.
Hall, E. T. (1971). La dimension cachée. Paris : Seuil.
Hofstadter, D., Sander E. (2013). L'analogie : cœur de la pensée. Paris : Odile Jacob.
Illich, I. (1975). Énergie et équité. Paris : Seuil.
Lacombe, E. (2016). Graine d’information et schémas de transformation. Management des Technologies Organisationnelles, n°06 (1). Paris : Presses des Mines, 109-124.
Lacombe, E. (2021). Transformation numérique des organisations en réseau : les potentiels d'une schématisation dynamique de l'information. Thèse de doctorat en Sciences de l’information et de la communication, sous la direction de Lise Vieira, Bordeaux 3.
Lacombe, E. (2022). Le thésaurus organisationnel comme clé du rapport entre organisation de l’information et transformation de l’organisation (boucle OitO) : référentiel T!O et exemples d’application. Journée thématique Thesaurus Rex II, 8 décembre 2022, Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux. Lyon.
Lacombe, E., Vieira, L. (2022). Le phénomène de résonance à l’ère du numérique, Perspectives et modélisation. Fractales et Résonances. Paris : Presses des Mines, 147-170.
Lacombe, E., Lukas, D. (2023). The transformation of an archaeological community and its resulting representations in the context of the co-development of open Archaeological Information Systems. 8. Where do you draw your lines? Mapping transformation of archaeological practice in the digital age, CAA Conference, 5 avril 2023. Amsterdam.
Lecomte, J. (2001). Lev Vygotski, Pensée et langage, du social vers l'individuel. Le langage, nature, histoire et usage. Paris : Ed. Sciences Humaines, 291-296.
Lévy, P. (2023). Comment construire un concept en IEML ? L’exemple de la démocratie. Pierre Levy's Blog, 20 février 2023. https://pierrelevyblog.com/2023/02/20/comment-construire-un-concept-en-ieml-lexemple-de-la-democratie/
Lovelock, J. (1979). Gaia, a new look at life on earth, Oxford University Press. Trad. France, (2017). La Terre est un être vivant, L’hypothèse Gaïa. Paris : Flammarion.
Lupasco, S. (1951). Le principe d'antagonisme et la logique de l'énergie. Paris : Hermann.
Lupasco, S. (1960). Les trois matières. Paris : Julliard.
Lupasco, S. (1970). La tragédie de l'énergie. Paris : Casterman.
Maillé, A. J. (2016). La loi des contraires, Corpus énantiologique de la conception du monde et de la réflexion humaine. Montréal : Carte Blanche.
Maturana, H., Varela, F. (1980). Autopoiesis and Cognition: the Realization of the Living. Kluwer Academic Publishers.
Meadows, D, Meadows, D., Randers, J. (1972). The Limits To Growth. White River Junction: Chelsea Green Publishing.
Meadows, D, Meadows, D., Randers, J. (2012). Les limites à la croissance (dans un monde fini) : Le rapport Meadows, 30 ans après. Paris : Rue de l’échiquier.
Morin, E. (1970). Journal de Californie. Paris : Seuil.
Morin, E. (1977). La méthode, tome 1 : La nature de la nature. Paris : Seuil.
Morin, E. (2010). Lupasco et les pensées qui affrontent la contradiction. A la confluence de deux cultures Lupasco aujourd’hui, sous la direction de Basarab Nicolescu. Escalquens : Ed. Oxus.
Nicolescu, B. (1996). La transdisciplinarité : manifeste. Monaco : Ed. Rocher.
Noyer, J.-M. (2010). Connaissance, Pensée, Réseaux à l’heure numérique. Pour une nouvelle Renaissance. Organisation des connaissances et web 2.0. Les Cahiers du numérique, 2010/3, Vol. 6, 187-209. https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-du-numerique-2010-3-page-187.htm
Parrochia, D. (1991), Mathématiques et existence, Ordres, Fragments, Empiétements. Seyssel : Champ-Vallon.
Peirce C.S. (1879). Comment rendre nos idées claires. La Revue philosophique de la France et de l’étranger, quatrième année, tome VII, janvier 1879, 39-57. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k17146f/f43.item
Piaget J. (1973). Introduction à l’épistémologie génétique, Tome 1. La pensée mathématique, Tome 2. La pensée physique. Paris : PUF.
Reich, G., Durost, S. & Girard, J.-P., (2023). Enjeux pour la mise en réseau et l'analyse des connaissances archéologiques. Actes de la conférence internationale TOTh 2022. Chambéry : Presses Universitaires Savoie Mont Blanc.
Resmini, A. (2013). Les architectures d’information. L’Architecture de l’information : un concept opératoire ?. Études de Communication, 41, 31-56. https://journals.openedition.org/edc/5380
Stephant, A. (2022). Ruée minière au XXIè siècle : jusqu'où les limites seront-elles repoussées ?, Conférence Unexpected Sources of Inspiration (USI), 28 juin 2022. https://youtu.be/i8RMX8ODWQs
Thom, R. (1977). Stabilité structurelle et morphogenèse. Paris : InterEditions.
Thom, R. (1983). Paraboles et catastrophes, Entretiens sur les mathématiques, la science et la philosophie. Paris : Flammarion.
Thom, R. (1988). Esquisse d'une sémiophysique, Physique aristotélicienne et Théorie des Catastrophes. Paris : InterEditions.
Tricot, C. (2006). Cartographie Sémantique, des connaissances à la carte. Thèse de doctorat en Informatique, sous la direction de Christophe Roche, Université de Savoie.
1 Le format des métaCartes a été imaginé et conçu par Lilian Ricaud et Mélanie Lacayrouze pour avoir l'essentiel en main. Les cartes exploitent la puissance de la combinatoire pour s'adapter à de multiples situations. La dimension méta (au-delà) est activable par le QR code et le mini lien au dos de chaque carte, qui permet d'accéder à une ressource plus complète et actualisée en ligne. Cf. https://metacartes.cc/ et https://metacartes.net/transformation-organisation/
2 En s’inspirant des méthodes dites Agiles : cf. https://agilemanifesto.org/ Rappelons que d’après le modèle de la performance de Gibert (1980), l’efficience évalue le rapport entre l'économie des moyens et l’obtention des résultats. Elle se distingue de l’efficacité qui évalue le rapport entre les objectifs et les résultats.
3 On notera que la notion de durée est prédominante. Partagé socialement, ce temps est mesuré avec précision. Les horloges sont synchronisées depuis le développement du chemin de fer. Si le “progrès” de la science et de la technique est souvent justifié par un gain de temps, celui-ci est à relativiser, comme l’a montré Ivan Illich (1975).
4 Ce concept est à rapprocher du centre organisateur des systèmes adaptatifs (Cardon, 2005)
5 Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Diagramme_des_interactions_biologiques.svg
6 Notons qu'Edgar Morin a utilisé cette expression pour désigner « l'antagonisme entre la répression et la créativité qui lui sont l'une et l'autre nécessaires. » (Morin, 1970)