N°3 / VARIA

Jean-Paul Bronckart (2022). Activité langagière. Textes et discours.

Introduction à l'Interactionnisme Socio-Discursif

Florence Guiraud

Résumé

L’ouvrage, activité langagière, textes et discours de Jean Paul Bronckart, est une édition revue et augmentée de l’édition de 1996 et s’inscrit avec force dans le paradigme épistémologique de base de l’interactionnisme social. Cette dernière parution réalise la reprise synthétique de travaux antérieurs et peut offrir ainsi aux chercheurs un éclairage à la fois théorique et pratique des principes de l’Interactionnisme socio-discursif appliqué à l’analyse de discours. Grace à l’apport à la fois de la psychologie du langage, de la sociologie, de la philosophie et de la linguistique, le statut de l’activité langagière et de la textualité y sont ici approfondies et reconfigurées. Dans un premier temps l’auteur rappelle les principes de sa démarche, fondamentalement inscrite dans une historicité socio-interactionniste, se démarquant ainsi radicalement des courants cognitivistes en psychologie ou relevant du chomskysme en linguistique. C’est adossé à ce cadre théorique ainsi explicité et développé, que l’auteur propose dans une deuxième partie, une méthode d’analyse et de compréhension des faits langagiers à partir d’un vaste corpus composé de textes écrits, issus de la littérature ou de productions scientifiques. Il y met en lumière un modèle global d’analyse dans lequel l’architecture textuelle organisée en 3 niveaux et le contexte social de production apparaissent comme nécessairement articulés et interdépendants.

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Ce dernier ouvrage de Jean Paul Bronckart est l’occasion pour celui-ci de de rappeler l’orientation générale de ses travaux dont la démarche issue de l’interactionnisme social, consiste à considérer une approche psycho-sociale du langage dans laquelle les faits langagiers doivent être saisis au titre de traces de conduites humaines socialement contextualisés.   

L’introduction de l’ouvrage offre aux lecteurs une première approche synthétique des différents éléments de positionnement épistémologiques sous-tendus par les positions théoriques engagées.  L’auteur y explicite les objectifs qui se situent en prolongement d’une publication antérieure Fonctionnement des discours, paru en 1985[1]. Cet ouvrage proposait un classement des types de textes et une description de leurs caractéristiques basée sur des travaux empiriques. Ces résultats ont été exploités pour la recherche sur l’acquisition du langage chez l’enfant, ce qui a donné lieu à l’ élaboration de grilles d’évaluations de production de textes et de séances didactiques (manuels pédagogiques).Si ces travaux offraient une méthode efficiente dans le classement des types de textes et l’analyse de leurs caractéristiques spécifiques, ils ont aussi révélé des lacunes que cette nouvelle parution a pour objectif d’expliciter et de combler.

La première partie : les textes comme productions sociales rappelle le cadre et les principes de l’Interactionnisme socio-discursif (ISD) qui s’inscrit notamment dans la lignée de la psychologie du développement de Vygotski. (1934)[2] Organisée en trois chapitres, J P Bronckart propose ici de redéfinir puis de questionner pour mieux le défendre le positionnement épistémologique initial de l’ISD. Cet angle de vue, situé dans le champ des sciences humaines et sociales, permet à l’auteur d’approfondir la notion centrale du langage comme processus dynamique et plus précisément le statut de l’activité langagière pensée comme avant tout, de nature sociale et culturelle.  Les actions langagières sont ainsi socialement orientées et constituent des observables inscrits dans des contextes précis de production. Les formes discursives produites : les discours, sont nécessairement puisées dans un répertoire socialement construit : les genres de textes. De ce fait, l’action langagière ne peut ainsi se réaliser que dans le cadre sémiotique d’une langue naturelle, élaborée par des formations sociales antérieures dont elle mobilise les préconstruits. Ainsi si tout discours est une production certes individuelle, le genre de texte dans laquelle il s’inscrit exerce sur lui des contraintes. En retour, les agents de l’activité langagière disposent de mécanismes de production les rendant aptes à reconfigurer ces mêmes préconstruits, conférant à ceux-ci une marge importante de décision et de liberté.

La deuxième partie de l’ouvrage : l’architecture interne des textes sera l’occasion d’analyser la matérialité des productions langagières liée à l’activité humaine dans sa dimension praxéologique. Organisée en 6 chapitres, elle propose au lecteur un corpus de textes écrits d’adultes, issus de 120 productions littéraires ou scientifiques. Ce corpus servira de base à l’analyse et à la compréhension de l’architecture globale des textes en poursuivant la deuxième intention de cet ouvrage qui est de fournir à l’analyste, des axes méthodologiques pour définir les différents processus mis en œuvre dans toutes productions textuelles. Les 3 premiers chapitres de ce deuxième temps de l’ouvrage, questionnent l’architecture globale des textes que l’auteur détaille en 3 niveaux. Tout d’abord JP Bronckart évoque un premier niveau : l’infrastructure textuelle. L’accent est mis sur les formes d’organisation linguistiques. Ces types de discours seront pour l’analyste identifiables en surface car porteurs de caractéristiques ou entités superficielles (des archétypes), définissables par les différentes opérations psychologiques et linguistiques qui ont permis leur réalisation. L’auteur reconnait cependant le caractère inéluctablement approximatif et instable de ces types discursifs car, en effet, l’agent producteur est à même de modifier, d’adapter le statut de n’importe quel genre textuel dans lequel ils s’inscrivent. Le deuxième niveau explicité ici est le mécanisme de textualisation. L’auteur analyse la matérialité fine des énoncés et notamment les organisateurs ou connecteurs textuels qui participent à la cohérence thématique des textes. Toujours en appui d’un corpus composé d’extraits d’écrits variés, JP Bronckart identifie un troisième niveau dans l’architecture globale des textes : les opérations de cohérence interactive ou mécanismes de prise en charge énonciative.  Si le producteur de texte assume à première vue la responsabilité énonciative de son énoncé (attribué à lui-même ou à des tiers), ce même énoncé s’inscrit dans des instances formelles déjà préconstruites et donc soumises à des règles de fonctionnement qui lui échappent. La polyphonie des textes est le produit de ce fonctionnement. Celui-ci s’exprime au travers de la présence de différentes voix implicites ou explicites : la voix de l’auteur empirique, les voix sociales, les voix des personnages.

Pour faciliter au lecteur un travail de synthèse, l’auteur organise sa démonstration en proposant une conclusion intermédiaire de cette sous partie, permettant ainsi de porter un regard synthétique sur ces 3 aspects d’analyse et compréhension. Les 3 derniers chapitres approfondissent et développent ces notions de propriétés de la textualité en rappelant la nécessité d’un prise en compte systématique des conditions externes de production avec laquelle le texte est nécessairement mis en interaction.

Dans son ultime chapitre intitulé pour suivre, l’auteur conclut son ouvrage en soulignant que c’est donc bien dans l’articulation entre l’examen des conditions externes de production langagière et l’analyse des propriétés de la textualité que se situe le cadre de sa démarche, théorisée ainsi à partir de données empiriques. Il considère aussi les limites de ces analyses et souhaitent notamment enrichir sa démarche grâce à une ouverture plus large aux autres disciplines des sciences humaines.  C’est ainsi que la bibliographie rend compte de ce large empan théorique qui sous-tend le principe de l’interactionnisme socio-discursif et notamment le refus radical de l’auteur de cloisonner les différents domaines des sciences humaines. Cette démarche se place au service d’un positionnement résolument interactionniste des conduites verbales, propriétés des conduites humaines.

 

[1] Bronckart, JP, 1985 Le fonctionnement des discours. Un modèle psychologique et une méthode d'analyse Delachaux & Niestlé

[2] Vygotski, L.S (1934-1985) Pensée et langage. Traduction française F. Sève), Paris, Editions Sociales.

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