N°3 / VARIA

Les Humanités Numériques : un modèle transdisciplinaire dans l’enseignement/apprentissage

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Jean Frayssinhes

Résumé

Dans cet article, nous étudions les humanités numériques et la transdisciplinarité, en utilisant l’enseignement/apprentissage comme fil conducteur. Depuis vingt-cinq ans, le « numérique » nous entoure de toute part. Aujourd’hui, sa profusion exponentielle touche l’ensemble des activités humaines, jusqu’à devenir « pervasif [1]», c’est-à-dire qu’il pénètre toutes nos activités, dans toutes les sphères de notre vie privée ou publique, et en affecte les pratiques et les usages informationnels, communicationnels, transactionnels, en développant un impact sans cesse grandissant sur notre destinée.

Les humanités numériques et la transdisciplinarité sont deux concepts interconnectés qui se conjuguent dans des approches complémentaires, afin de faciliter l'étude et la compréhension des phénomènes complexes et des polycrises que nous traversons, liés aux technologies numériques et aux interactions qui en découlent, entre l'être humain et le numérique.

Les humanités numériques sont un sous-système du « numérique ». Après les avoir explicités, nous verrons les avantages qu’elles procurent aux apprenants, aux enseignants, et définirons les différents acteurs concernés. Elles constituent un champ foisonnant, riche et pléthorique, que l’on peut découvrir avec l’accélération de nouvelles découvertes supposées être utiles aux êtres humains, en aplanir la pénibilité d’utilisation pour adoucir leur vie quotidienne, qu’elle soit professionnelle, personnelle, ou privé.

Aujourd’hui, les sciences humaines et sociales (SHS) sont fortement influencées par les modèles computationnels. Dans le domaine de l’enseignement/apprentissage, la production, la gestion et la transmission des savoirs, est impactée par le numérique si l’on veut continuer à se former, comme le « grand public » a pu s’en rendre compte lors de la fermeture brutale des centres de dispensation des savoirs (écoles, universités, centres de formation, etc.) à l’occasion de la pandémie du COVID-19.

 

[1] Dominique Boullier, Sociologie du numérique, Paris, A. Colin, 2016, p. 10.

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1/ Introduction : Les humanités numériques, de quoi parle-t-on ?

Si l’on en croit les signataires du manifeste des Digital Humanities[1] : « Pour nous, les digital humanities concernent l’ensemble des Sciences humaines et sociales, des Arts et des Lettres. Les digital humanities ne font pas table rase du passé. Elles s’appuient, au contraire, sur l’ensemble des paradigmes, savoir-faire et connaissances propres à ces disciplines, […] Les digital humanities désignent une transdiscipline, porteuse des méthodes, des dispositifs et des perspectives heuristiques liées au numérique.» Le manifeste des Digital Humanities annonce ainsi la volonté de s’inclure dans le concept transdisciplinaire (Morin, 1977/2008), sans pour autant rejeter les disciplines dans lesquelles elles s’inscrivent. Avec les Digital Humanities, nous sommes de fait dans l’ère du Big Data. Les messages publiés sur Twitter, « bien que limités chacun à cent quarante caractères, représentent 7 To par jour, soit une demi-BNF quotidienne »  (Ganascia 2015).

Comme pour toutes les nouveautés en devenir, nous nous trouvons dans l’incertitude quant au périmètre exact des humanités numériques, les disciplines concernées, la nature des outils et des méthodes numériques qui peuvent être mobilisées, etc. (Dacos et Mounier, 2015). La conférence Digital Humanities organisée à l’Université de Stanford en 2011, utilisa la métaphore du « chapiteau », lieu accueillant sans limite précise du périmètre, pour la qualifier. (Ibid.)

Les humanités numériques sont un sous-système du numérique. Rappelons brièvement qu’un « système » est caractérisé par Joël de Rosnay (1975, p.91) comme « […] un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d’un but ». Un sous-système, est donc un système qui fait partie d’un système plus important situé en amont, qui peut générer n  sous-systèmes, avec lesquels le système amont va pouvoir interagir. Plus les interactions au sein d’un système sont nombreuses, plus le système est considéré comme complexe, car il est en mesure de développer un grand nombre de nouvelles propriétés (Frayssinhes, 2023a). Plus le système dispose de sous-systèmes, plus les interactions seront nombreuses, ce qui en accroît la complexité finale. C’est ce qui se produit dans l’apprentissage sur les réseaux numériques, qui représente le niveau méta de la difficulté de compréhension et de rétention des informations pour un apprenant en ligne, ce qui nécessite de sa part une forte capacité d’auto-apprentissage. Les données informationnelles qui transitent sur les réseaux sont si denses et abondantes, que les interactions que cela procure, accroissent la difficulté de l’apprenant en ligne pouvant conduire à l’échec ou à l’abandon de sa formation, comme l’indiquent les statistiques. (Frayssinhes, 2012, 2016, 2019)

Aujourd’hui, on s’accorde à considérer les humanités numériques comme renvoyant avant tout à une communauté de pratiques autour d’approches informatisées pour l’analyse des données en lettres et SHS. Les humanités numériques font référence à l'application des méthodes et des technologies numériques, qui combinent des disciplines traditionnelles telles que la littérature, l'histoire, l’archéologie, la philosophie, l'anthropologie, la linguistique, la pédagogie, etc., avec différents outils et approches numériques afin d’explorer, analyser et interpréter des données culturelles, historiques, littéraires et artistiques. Les humanités numériques englobent ainsi un large éventail de pratiques et de méthodes, notamment :

§ Numérisation et préservation : la numérisation d'archives, de manuscrits, de livres, de photographies et d'autres documents culturels permet de les préserver et de les rendre accessibles en ligne. Cela facilite la recherche et l'exploration de ces ressources dans le cadre de l’enseignement et de l’apprentissage.

§ Text mining et fouille de données : les outils d'analyse de texte et de fouille de données permettent d'extraire des informations, d'identifier des tendances, des modèles et des relations dans de grands ensembles de données textuelles, nécessaires dans la recherche. Cela peut faciliter l'exploration de corpus littéraires, l'analyse de discours politiques ou l'étude de textes historiques, entre autres.

§ Visualisation de données : la visualisation de données est utilisée pour représenter graphiquement des informations et des relations complexes. Cela peut inclure des cartes, des graphiques, des diagrammes ou des infographies interactives, qui aident à mieux comprendre et interpréter les données.

§ Édition numérique : les éditions numériques permettent de présenter des textes, des manuscrits ou des œuvres littéraires de manière interactive. Elles peuvent inclure des annotations, des liens vers d'autres ressources, des variantes textuelles, des traductions et des commentaires.

§ Réseaux sociaux académiques[2] : les réseaux sociaux académiques et les plateformes de collaboration en ligne favorisent l'échange d'idées, la discussion et la collaboration entre chercheurs et étudiants. Ils permettent de partager des ressources, de participer à des projets communs et de créer des communautés d'apprentissage et de recherche.

§ Projet de recherche numérique : les humanités numériques encouragent la réalisation de projets de recherche interdisciplinaires qui intègrent des méthodes et des outils numériques. Ces projets peuvent inclure l'analyse de grands ensembles de données, la création de bases de données, la cartographie numérique, la modélisation 3D, la réalité virtuelle, etc.

Bref, les humanités numériques explorent la manière dont les technologies numériques peuvent enrichir et transformer la recherche, l'enseignement, l’apprentissage et la diffusion des connaissances dans les sciences humaines et sociales.

Comme praticien et théoricien de l’enseignement et de l’apprentissage sur les réseaux numériques, nous souhaitons mieux comprendre comment les humanités numériques ont, de par leur statut évolutif, pu remettre en cause les pratiques de l’enseignement/apprentissage, en changer les usages, et faire douter des pratiques présentielles tutélaires et protectrices contre des changements et des transformations, qui ont semblé a beaucoup d’enseignants et d’apprenants non formés pour enseigner ou apprendre via les réseaux numériques, messagères d’échecs car fortement téméraires et hardies dans leur mise en œuvre.

2/ Quels usages en enseignement/apprentissage ?

Également connues sous le nom anglais de digital humanities,  elles désignent l’application des technologies numérique à la recherche, à l’enseignement, et à la diffusion des savoirs. Dans le contexte de l’enseignement/apprentissage, elles offrent de nombreux usages et procurent certains avantages dont :

§ Accès aux ressources : les humanités numériques permettent aux étudiants et aux enseignants d'accéder à un large éventail de ressources en ligne, notamment des documents historiques, des œuvres littéraires, des archives numériques, des bases de données et des collections d'art. Cela facilite la recherche et permet d'explorer des sources qui seraient autrement difficiles d'accès.

§ Analyse de données : les outils numériques facilitent l'analyse de grandes quantités de données textuelles, visuelles ou sonores. Les étudiants peuvent utiliser des méthodes de traitement automatique du langage naturel, de fouille de données ou de visualisation de données pour explorer et interpréter des corpus importants de textes, d'images ou de sons, ou pour détecter des modèles et des tendances.

§ Collaboration et partage : les humanités numériques encouragent la collaboration entre les étudiants et les enseignants, ainsi qu'avec des chercheurs et des experts du monde entier. Les plateformes en ligne, les réseaux sociaux académiques et les outils de travail collaboratif permettent de partager des idées, de discuter de projets et de travailler ensemble sur des projets de recherche.

§ Création multimédia : les humanités numériques encouragent la création multimédia en intégrant des éléments visuels, sonores et interactifs dans les projets d'étude. Les étudiants peuvent utiliser des outils de création tels que des logiciels de montage vidéo, de conception graphique ou de réalité virtuelle pour développer des projets innovants et engageants.

§ Visualisation de données : la visualisation de données est un aspect important des humanités numériques. Les étudiants peuvent utiliser des outils de visualisation pour représenter graphiquement des données complexes, ce qui facilite la compréhension et l'interprétation des informations.

§ Étude de la culture numérique : les humanités numériques permettent également d'explorer la culture numérique et ses implications sociales, politiques et culturelles. Cela inclut l'étude des médias sociaux, des plateformes en ligne, des jeux vidéo, de l'intelligence artificielle et d'autres aspects de la vie numérique contemporaine.

En intégrant les humanités numériques dans l'enseignement et l'apprentissage, les étudiants acquièrent des compétences pertinentes pour le monde numérique et développent une compréhension critique des enjeux liés à l'utilisation des technologies dans le domaine des sciences humaines et sociales. Ce qui était réservé aux seuls apprenants en ligne dans le concept de FOAD, ou de E-learning, devient de plus en plus la norme, même en présentiel où les enseignants ont, pour une partie d’entre eux, intégrés les modalités numériques dans leurs enseignements (Frayssinhes et Galaup, 2021)Haut du formulaire

3/ Humanités numériques : quels liens avec la transdisciplinarité ?

Les "humanités numériques" et la transdisciplinarité sont deux concepts interconnectés qui se rapportent à des approches pluridisciplinaires de l'étude et de la compréhension des phénomènes liés aux technologies numériques et à l'interaction entre l'humain et le numérique.

Les liens qui les unissent sont pléthoriques, et offrent une forte variabilité contextuelle :

1/ Nature transdisciplinaire des humanités numériques : les humanités numériques sont souvent considérées comme une discipline transdisciplinaire en elles-mêmes. Elles impliquent l'utilisation de méthodes et d'approches empruntées à plusieurs disciplines telles que l'informatique, les sciences sociales, l'histoire, la linguistique, la philosophie et bien d'autres encore. La transdisciplinarité est donc une caractéristique fondamentale des humanités numériques.

2/ Collaboration entre disciplines : les humanités numériques favorisent la collaboration entre différentes disciplines académiques dans le but de tirer parti des compétences, des connaissances et des perspectives de chaque domaine, comme nous avons pu le montrer dans un essai d’opérationnalisation d’une réponse transdisciplinaire, pour faire face aux polycrises dues au réchauffement climatique (Frayssinhes, 2023b). Ainsi, des climatologues peuvent travailler avec des économistes environnementaux pour analyser les coûts et les avantages des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serres (GES), mais aussi avec un démographe pour étudier les modèles de migration et d’interaction entre la croissance de la population et les changements environnementaux. Cette collaboration interdisciplinaire permet d'aborder les problèmes complexes liés au numérique d'une manière plus holistique.

3/ Approche critique et réflexive : les humanités numériques adoptent souvent une approche critique et réflexive dans l'étude des phénomènes numériques. Elles examinent les implications culturelles, sociales, politiques et éthiques des technologies numériques, ainsi que leurs effets sur la société et sur les pratiques académiques. Dans ce cas, la transdisciplinarité permet d'apporter des perspectives variées et complémentaires à ces analyses critiques.

4/ Méthodes et outils transdisciplinaires : les humanités numériques font appel à des méthodes et à des outils transdisciplinaires (Nicolescu, 2012) pour aborder les questions liées au numérique. Cela peut inclure des techniques de fouille de données, d'analyse de réseaux, de modélisation, de visualisation, de text mining, etc. Ces méthodes et outils sont souvent développés en collaborant avec des chercheurs issus de différentes disciplines, afin de répondre aux défis spécifiques posés par l'étude des phénomènes numériques.

En résumé, les humanités numériques sont intrinsèquement transdisciplinaires, car elles intègrent des approches, des méthodes et des connaissances provenant de diverses disciplines pour étudier et comprendre les aspects complexes du monde numérique. La transdisciplinarité permet une analyse approfondie des problèmes liés au numérique, en favorisant la collaboration entre les disciplines et en adoptant une approche critique et réflexive.

4/ Humanités numériques : quels intérêts pour l’enseignant ?Haut du formulaire

                 

Les humanités numériques offrent plusieurs avantages et intérêts pour les enseignants dans le domaine des sciences humaines et sociales :

§ Accès à des ressources étendues : les enseignants ont accès à une vaste gamme de ressources numériques, telles que des archives numérisées, des bases de données en ligne, des collections d'œuvres d'art, des corpus de textes, etc. Cela leur permet d'enrichir leurs cours et de fournir aux étudiants un accès à des sources qui seraient autrement difficiles à obtenir.

§ Exploration et analyse de données : les méthodes de traitement automatique du langage naturel, de fouille de données et de leurs visualisations, permettant aux enseignants d'explorer et d'analyser de grandes quantités de données textuelles, visuelles ou sonores. Ils peuvent découvrir des tendances, des modèles ou des relations dans les textes, les discours, les images ou les sources historiques, ce qui peut enrichir leurs analyses et leurs discussions en classe.

§ Enseignement interactif et engagement des étudiants : les outils numériques, tels que les plateformes d'apprentissage en ligne, les forums de discussion, les quiz en ligne, les blogs ou les médias sociaux, permettent aux enseignants de créer des expériences d'apprentissage interactives. Cela favorise l'engagement des étudiants, encourage la participation active et facilite les échanges entre les étudiants et l'enseignant.

§ Collaboration et partage : les enseignants peuvent collaborer avec d'autres enseignants et chercheurs de tous horizons et nationalités, grâce aux réseaux sociaux académiques et aux plateformes de collaboration en ligne. Ils peuvent partager des idées pédagogiques, discuter de bonnes pratiques, développer des projets communs en bénéficiant d'un soutien mutuel, et découvrir la richesse de l’interculturalité.

§ Développement de compétences numériques : les humanités numériques offrent aux enseignants l'opportunité de développer leurs compétences numériques et d'acquérir de nouvelles connaissances dans le domaine des technologies de l'information et de la communication. Cela leur permet de rester à jour avec les dernières avancées technologiques et d'appliquer ces compétences dans leur enseignement.

§ Innovation pédagogique : les humanités numériques encouragent l'innovation pédagogique en offrant de nouvelles méthodes d'enseignement et d'évaluation. Les enseignants peuvent intégrer des éléments multimédias, des projets de recherche numérique, des activités collaboratives en ligne, des simulations virtuelles, etc. Cela permet d'explorer de nouvelles approches d'enseignement et de favoriser l'apprentissage actif et créatif des étudiants.

En résumé, les humanités numériques offrent aux enseignants des outils, des ressources et des méthodes novatrices pour enrichir leur enseignement, stimuler l'engagement des étudiants et développer leurs compétences numériques. Cela leur permet d'explorer de nouvelles perspectives dans leur domaine d'expertise et de favoriser une approche pédagogique plus dynamique et interactive de l'enseignement.

 

5/ Humanités numériques : quels intérêts pour les apprenants ?

 

Les humanités numériques offrent aussi de nombreux intérêts et avantages pour les apprenants dans le domaine des sciences humaines et sociales :

§ Accès à une multitude de ressources : les apprenants ont accès à une large gamme de ressources numériques, telles que des archives en ligne, des bases de données, des collections d'œuvres d'art, des textes numérisés, etc. Cela leur permet d'explorer des sources riches et variées, d'accéder à des documents historiques précieux et d'approfondir leurs connaissances interculturelles et linguistiques.

§ Expérience d'apprentissage interactive : les outils numériques offrent aux apprenants des expériences d'apprentissage interactives. Ils peuvent participer à des forums de discussion en ligne, collaborer avec d'autres étudiants, réaliser des projets de recherche numérique en commun et s'engager dans des activités interactives qui stimulent leur participation active et leur motivation.

§ Analyse de données et exploration de corpus : les apprenants peuvent utiliser des outils numériques pour analyser de grandes quantités de données textuelles, visuelles ou sonores. Cela leur permet d'explorer des corpus littéraires, d'analyser des discours, de découvrir des tendances ou des motifs, et de développer leurs compétences en analyse critique.

§ Création multimédia : les humanités numériques encouragent les apprenants à développer leurs compétences en création multimédia. Ils peuvent utiliser des outils de montage vidéo, de conception graphique, de réalité virtuelle ou d'autres outils numériques liés à l’intelligence artificielle, pour créer des projets innovants qui intègrent des éléments visuels, sonores et interactifs.

§ Collaboration et partage : les apprenants peuvent collaborer avec leurs pairs, échanger des idées, travailler sur des projets communs et partager leurs travaux sur des plateformes de collaboration en ligne. Cela favorise l'apprentissage collaboratif, le partage des connaissances et le développement de compétences de travail en équipe multidisciplinaire.

§ Développement de compétences numériques : les apprenants acquièrent des compétences numériques essentielles en utilisant des outils et des technologies numériques dans le contexte des humanités numériques. Cela comprend la capacité à rechercher, à évaluer et à utiliser des ressources en ligne, à analyser des données, à communiquer efficacement en ligne et à utiliser des outils de création numérique.

§ Compréhension de la culture numérique : les humanités numériques permettent aux apprenants de développer une compréhension critique de la culture numérique. Ils peuvent explorer les enjeux sociaux, éthiques et culturels liés à l'utilisation des technologies numériques, tels que les médias sociaux, l'intelligence artificielle, la protection des données, etc.

En résumé, les humanités numériques offrent aux apprenants des opportunités d'apprentissage enrichissantes et interactives. Ils peuvent accéder à des ressources diversifiées (§ chapitre 7), développer leurs compétences numériques, collaborer avec leurs pairs et développer une compréhension critique de la culture numérique. Cela favorise un apprentissage plus pro-actif, engageant et adapté au monde numérique dans lequel nous vivons, leur permettant ainsi de réussir plus facilement leurs apprentissages sur les réseaux numériques.

6/ Quels sont les différents acteurs des humanités numériques ?

Les humanités numériques sont un domaine multidisciplinaire qui implique la participation de divers acteurs dans un large spectre de spécialités. Outre les enseignants et les chercheurs déjà évoqués, voici quelques-uns des principaux protagonistes que l’on peut rencontrer dans ce domaine :

§ Bibliothécaires et archivistes : les bibliothécaires et les archivistes (Tim Sherratt (2021), bibliothécaire australien ; Trevor Owens (2011), chercheur à la bibliothèque du Congrès des Etats-Unis ; Mia Ridge (2013), archiviste et chercheuse au British Library ; etc.) jouent un rôle crucial dans les humanités numériques en numérisant et en préservant des collections de documents, en développant des archives numériques et en facilitant l'accès aux ressources numériques pour les chercheurs, les enseignants et les étudiants.

§ Informaticiens : les informaticiens et les experts en technologie de l'information (Franco Moretti (1987), théoricien italien ; Lev Manovich (2020), City University of New York ; Geoffrey Rockwell (2017), Université d’Alberta ; etc.) sont impliqués dans les humanités numériques en développant des outils, des plateformes et des infrastructures technologiques adaptées aux besoins des chercheurs et des enseignants. Ils contribuent au développement de logiciels de fouille de données, d'outils de visualisation, de systèmes de gestion de données, etc.

§ Professionnels des musées et du patrimoine : les professionnels des musées et du patrimoine ( Seb Chan, Directeur au centre d’art contemporain de Sydney ;  Nancy Proctor(2018), Directrice adjointe aux musées nationaux de Berlin ; Sarah Kenderdine (2003), École polytechnique de Lausanne etc.) sont impliqués dans les humanités numériques en utilisant des technologies pour la préservation, la documentation et la présentation du patrimoine culturel. Ils développent des expositions virtuelles, des visites guidées en ligne, des archives numériques, etc.

§ Éditeurs et éditeurs numériques : les éditeurs et les éditeurs numériques (The MIT Press, OpenEdition, Editions de l’EHESS, etc.) sont impliqués dans la publication d'éditions numériques, de revues académiques en ligne et de publications spécialisées dans le domaine des humanités numériques. Ils contribuent à la diffusion des travaux de recherche et des ressources numériques.

§ Institutions académiques et centres de recherche : les universités, les institutions académiques et les centres de recherche (Labex Hastec en histoire et anthropologie ; Maison des Sciences de l’Homme (MSH) ; Humanités numériques- Paris 8 ;  Digital Humanities Research Group – King’s College London ; etc.) jouent un rôle clé dans les humanités numériques en fournissant des ressources, des infrastructures et des programmes de recherche. Ils soutiennent les enseignants et les chercheurs dans le développement de projets de recherche numérique et la formation aux compétences numériques.

Nous constatons que les acteurs dans le domaine des humanités numériques sont de plus en plus nombreux ; ils peuvent offrir progressivement une forte variabilité, selon les pays, les institutions, et les domaines spécifiques des sciences humaines et sociales.Haut du formulaire

7/ Quelques références d’institutions ou organisations

Il existe de nombreux interlocuteurs dans le domaine des humanités numériques, et sans aucune exhaustivité, nous présentons ci-après quelques noms d'organisations, d'institutions et de références renommées dans ce domaine :

§ Digital Humanities Initiative (DHI) : l’Université d’Europe centrale est une institution de recherche et d’enseignement avancée, dédiée à la recherche intellectuelle socialement et moralement responsable. Site web : Digital Humanities Initiative | Central European University (ceu.edu)

§ Alliance of Digital Humanities Organizations (ADHO) : organisation internationale qui soutient et promeut les humanités numériques à travers des conférences, des publications et des initiatives de collaboration. Site web : https://adho.org/

§ Digital Humanities Quarterly (DHQ) : revue académique en ligne dédiée aux recherches et aux pratiques dans le domaine des humanités numériques. Site web : http://www.digitalhumanities.org/dhq/

§ Europeana : bibliothèque numérique européenne qui donne accès à des millions de ressources culturelles numérisées provenant d'institutions culturelles à travers l'Europe. Site web : https://www.europeana.eu/

§ The Programming Historian : ressource en ligne qui propose des tutoriels et des guides pratiques pour l'utilisation d'outils et de méthodes numériques dans les sciences humaines et sociales. Site web : https://programminghistorian.org/

§ HASTAC (Humanities, Arts, Science, and Technology Alliance and Collaboratory) : réseau international de chercheurs, d'éducateurs et de professionnels qui travaillent à l'intersection des humanités et des technologies numériques. Site web : https://www.hastac.org/

§ Center for Digital Humanities (CDH) : centre de recherche et d'enseignement dédié aux humanités numériques, offrant des ressources, des programmes et des événements pour les chercheurs et les étudiants. Exemples : Center for Digital Humanities at Princeton University (https://digitalhumanities.princeton.edu/) et Stanford Center for Digital Humanities (https://digitalhumanities.stanford.edu/)

Ces références peuvent permettre d'explorer davantage les acteurs et les ressources dans le domaine des humanités numériques. Il est également recommandé de consulter les travaux de chercheurs spécifiques dans le domaine, selon ses propres intérêts de recherche. En outre, nous signalons quelques universités françaises qui offrent des formations dans ce domaine comme : Master SHS, mention « humanités numériques » (Paris 8 ; Paris, Sciences, Lettres (PSL) ; Bordeaux Montaigne ; EHESS ; Université Lumière Lyon2 ; Sorbonne Université), afin de disposer de professionnels compétents dans le domaine.

8/ Discussion et Conclusion

Le tournant « numérique » que nous avons pris il y a vingt-cinq ans, ne concerne pas seulement les « humanités » ; il concerne aussi l’ensemble des domaines de l’activité humaine, produisant ainsi un choc en retour sur les disciplines, dont l’objet est d’étudier l’homme dans la diversité de ses activités. (Dacos et Mounier, 2015). Le numérique devient ainsi un outil proposant différents artefacts pouvant améliorer l’efficacité de la recherche, mais aussi de l’enseignement /apprentissage, ainsi qu’un objet même de recherche (Ibid.), notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle (I.A).

Les humanités numériques sont un concept évolutif, (Bouzidi et Boulesnane, 2017), qui se situe au croisement des TIC et des SHS. D’origine multidisciplinaire (Dacos et Mounier, 2015), les humanités numériques connaissent un fort développement, notamment dans les pays anglo-saxons et nord-américains, et trouvent leur avenir dans la transdisciplinarité qui seule, lui permet de répondre avec efficience aux complexités qu’elle engendre. L’usage des humanités numériques est particulièrement pertinent dans les apprentissages en ligne (FOAD, E-learning, MOOC, etc.), mais il s’exerce également avec succès dans l’apprentissage en présentiel, offrant de nombreux supports didactiques interactifs, complémentaires à ceux dont disposent déjà les enseignants.

Avec les humanités numériques, on peut parler de rupture anthropologique[3] au sens où la numérisation modifie en profondeur ce que Simondon appelait le processus d’individuation psychique et collective[4], et que favorisent la compréhension, la mémorisation, la motivation des apprenants par leur diversité qui peuvent faciliter et renforcer le désir d’apprendre, en s’adaptant plus facilement à la grande variabilité des styles et stratégies d’apprentissages des élèves, comme nous avons pu le vérifier lors de notre théorisation de la mathétique sur les réseaux numériques (Frayssinhes, 2016).

Dans cet article, nous avons vu que les humanités numériques sont souvent considérées comme une discipline transdisciplinaire, car elles impliquent l'utilisation de méthodes et d'approches empruntées à plusieurs disciplines telles que l'informatique, les sciences sociales, l'histoire, la linguistique, la philosophie et bien d'autres encore, indiquant ainsi que le concept transdisciplinaire est devenu une caractéristique fondamentale des humanités numériques.

Pour faire face à la complexité des polycrises que notre époque nous impose, nous avons besoin d’une réflexion transdisciplinaire pour y faire face. Nous ne pouvons, nous satisfaire de la simple logique aristotélicienne classique, dite aussi du tiers exclu, logique binaire, qui s’attache seulement à identifier des niveaux organisés en hiérarchies linéairement déployées, exclusives les unes, des autres. Ce sont les interconnexions entre les différents niveaux où contenants et contenus s’inversent, dans des enchevêtrements paradoxaux qui en résultent, que la transdisciplinarité crée une nouvelle dynamique autopoëtique, produisant elle-même le tiers-inclus (Lupasco, 1951), nécessaire à son entendement et à son action. En ne cherchant plus à choisir entre deux termes opposés, mais en acceptant leur présence conjointe, nous assistons à la victoire du paradoxe contre la doxa. (Frayssinhes, 2023a).

Dans le domaine de l’éducation, nous avons vu que les humanités numériques offrent aux apprenants des opportunités d'apprentissage enrichissantes et interactives, grâce à l’accès de ressources diversifiées, qui permettent de développer les compétences numériques des apprenants. Le travail collaboratif avec leurs pairs, est la porte d’accès au développement d’une compréhension critique de la culture numérique, qui favorise un apprentissage pro-actif, engageant et adapté au monde numérique dans lequel nous vivons, leur apportant l’assurance d’une plus grande réussite de leurs apprentissages sur les réseaux numériques, ainsi qu’en présentiel.

Concernant l’enseignement, les humanités numériques offrent aux enseignants des outils efficients, d’innombrables ressources et des méthodes novatrices qui permettent d’enrichir leur enseignement, stimuler l'engagement des étudiants et renforcer leur motivation, tout en augmentant leurs compétences numériques. En outre, cela leur permet d'explorer de nouvelles perspectives dans leur domaine d'expertise et de favoriser une approche pédagogique plus dynamique et interactive de l'enseignement.

Enfin, les humanités numériques impliquent la participation de divers acteurs dans un large spectre de spécialités. Outre les enseignants et les chercheurs déjà évoqués, les principaux protagonistes que l’on peut rencontrer dans ce domaine sont les bibliothécaires et les archivistes, les informaticiens, les professionnels des musées et du patrimoine, les éditeurs, qu’ils soient « classiques » ou « numériques », ainsi que les institutions académiques et centres de recherche.

Bibliographie et Webographie

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Sherratt, T. (2021). Exploring collections through the GLAM Workbench. 1-47. Paper presented at XVIII CONGRÉS D'ARXVÍSTICA I GESTIÓ DE DOCUMENTS DE CATALUNYA. https://doi.org/10.5281/zenodo.5121224

 

 

 

 

[2] Un réseau social académique ( ResearcheGate, Academia, MySciencesWork) est destiné à faciliter et à favoriser la communication entre chercheurs, à la différence des réseaux sociaux généralistes comme Facebook.

[4] Site de l’IRI, article Digital studies (2011) http://www.iri.centrepompidou.fr/recherches/digital-humanities/?lang=fr_fr

 

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L’enseignement du français à l’école primaire publique marocaine : quelle place aux pratiques langagières effectives des élèves ?

Houria Ellouzi

Résumé : L’observation des pratiques langagières et l’approche des représentations sociales des élèves des écoles primaires publiques marocaines montrent un décalage entre la réalité métissée des locuteurs et une idéologie dominante cloisonnante. En fait, le français est considéré comme première « langue étrangère » au Maroc alors que les pratiques langagières effectives des élèves manifestent des formes langagières hybrides/interlinguistiques issues du contact de l’arabe et du français dont l’emprunt lexical est un indice. Ces réalités sociolangagières des élèves ne sont pas prises en...

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N°2 / 2023

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