N°2 / Langage et pensée complexe

Savoir et pouvoir - l'espacentre - langage et territoire

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Christian Blanes, Christelle Lemaire

Résumé

Résumé :

Notre réflexion témoigne de la pensée complexe à métisser pour préserver notre liberté d'expression. Elle se soulève face à une mondialisation qui nous accule et révèle les limites des systèmes en interaction (économiques, écologiques, psychiques, etc.). Elle interroge les possibilités d'ouvrir nos systèmes à un nouveau savoir, face au pouvoir d'émissions disciplinaires des connaissances. Notre écrit pratique la « déconstruction » et entre autres choses, du langage au jeu du sens des mots. Il s'arrange pour déranger l'ordre pré-état-pli qui précède la lecture, tel l’espace du mot, pour en déployer les sens à l’usage du trait d’union. Notre texte entre-ouvre un espace de créativité de la pensée, comme celui entre les lettres, les mots, l'interligne, propre à l'interstice, propice à la portée du silence. Il offre une lanterne à l'échange, déplie une carte, par-chemin de sérendipité et indisciplinarité, délivre l’espacentre, un concept et son invite paradigmatique. Nous en proposons une modélisation, à l’ouverture des possibles, autour de (se) comprendre et donner sens, au regard de la « pensée complexe » d’Edgar Morin.

Mots clefs :

Savoir et pouvoir, langage et territoire, discipline et trait d’union, pensée complexe, l'espacentre.

Abstract:

Our reflection testifies to complexity for the thought to be mixed in order to preserve our freedom of expression. It rises up in front of a globalisation that pushes us into a corner and reveals the limits of interacting systems (economic, ecological, psychological, etc.). It questions the possibilities of opening our systems to new knowledge, in front of the power of disciplinary emissions of knowledges. Our writing practices 'deconstruction' and among other things, of language at the play of the meaning of words. It manages to disturb the pre-established order that precedes reading, as the space of the word, to unfold its meanings with the use of the hyphen. Our text opens up a thought creativity space, like that between letters, words, the line spacing, proper to the interstice, favourable to the impact of silence. It offers a lantern for exchange, unfolds a map, a parchment of serendipity and indisciplinarity, delivers l’espacentre, a concept and its paradigmatic invitation. We propose a modelling, to the opening of possibilities, around to understand and give meaning, with regard to the 'complex thought' of Edgar Morin.

Key words:

Knowledge and power, language and territory, discipline and hyphen, complex thought, l’espacentre.

Mots-clés

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1. Introduction

Notre réflexion questionne (se) comprendre et donner sens, au regard de la « pensée complexe » d’Edgar Morin (2014). Elle témoigne de la complexité pour la pensée quant à réussir à métisser entre savoir et pouvoir, pour préserver notre liberté d'expression. Elle interroge les possibilités d'ouvrir nos systèmes à un nouveau savoir, face au pouvoir d'émissions disciplinaires des connaissances. Comment envisager une adaptation des systèmes à se départir du milieu ? Comment entrevoir de lutter contre la force de la « cage d’acier » (Weber, 1964), faire face aux risques à l'instar de celui du changement, risques produits par la cage elle-même ? Comment penser l’impensable, déstructurer le prévisible du « comme si de rien n'était », s'inscrire dans une conscience sociale propice à faire émerger un à-venir ?

D’une multitude de questions, nous dressons une carte de notre territoire de recherche et définissons une feuille de route. Dans un second temps, nous découvrons le laisser-passer de la discipline. Nous naviguons ensuite à la rencontre d’un espace de créativité. Nous délivrons les prémisses de l’espacentre, un concept et une invite paradigmatique. Nous en déplions une modélisation et déployons des illustrations puisées dans différents territoires - réseaux numériques, cybernétique, traçabilité, hypnose médicale, recherche scientifique – au rond-point de la discipline.

2. Feuille de route

Commençons par une rencontre au décor d'une toile. Un labyrinthe, un regard d'enfant se faufile à contre-jour, enfile en peine quelques mots, chuchote subrepticement : « Monsieur, j'ai trouvé quelque chose dans ma tête, je ne sais pas comment faire pour le dire, ça n'existe pas. Madame, c'est difficile à dire, c'est compliqué à comprendre, personne n'écoute, je suis tout seul ». Changement de décor, le rideau se lève, un petit conte : Il était une fois un monde... Dans ce monde, l'Homme conjugue de tout temps la vie avec un processus de jeux de sociétés. Chacune des règles (s') impose (par) une discipline. Telle une nasse, l'ensemble maille l'espace vide, tisse le temps libre, fixe la place du Je. Un système se crée sous couvert d'un jeu de lois entre savoir et pouvoir, opère un contrôle entre personnes attachées à (se) protéger, à faire évoluer un territoire. Des images défilent (un univers à la subjectivité), déroulent (une escalade en folie), dévident (une bobine d'inquiétudes), grondent comme le souffle un murmure.

En prise directe avec ce tableau, nous suivons les fils d’actualité au jeu de la croyance de (se) comprendre. L’interligne nous démasque des urgences et rend visible des limites à nos réseaux, systèmes en interaction (économiques, écologiques, sociologiques, politiques, psychiques, etc.). Par ailleurs, il ressort que la (dé)formation à/de la connaissance contribue à donner sens au savoir et au pouvoir, sens qui dé(cons)truit le filtre du « préjugé » tel que défini par Hans-Georg Gadamer (1976).  Ceci oriente le traitement et la transmission de l’information, ainsi qu’à définir les règles générales des programmes et méthodes, comme celles de l’éducation, de l’enseignement. En marge, un constat se dessine : « Il est préoccupant de voir à quel point une idée simple : le savoir n'est pas que disciplinaire, académique ou livresque, a du mal à être prise au sérieux dans le monde académique, qui se croit détenteur monopolistique des savoirs » (Robillard de, 2009a, pp. 126-127). Ce constat interroge quant à « l’être-au-monde » (Heidegger, 1986), entre individualité, conformité, normalité, de singularité à pluralité, sur l’échiquier de la complexité. Sur ce territoire, à l’école, dès l’enfance, la discipline tient lieu de maître-mot, ainsi que le savoir et la connaissance de pièces maîtresses.

Dans ce contexte, de la trace préservée d'une discipline à l'essai libre de l'imaginaire, nous déposons ce texte comme un langage inhabituel au cœur d’un territoire. Il s’inscrit dans une approche herméneutique, au sens de « l'ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens » (Foucault, 1966, p. 44). Il invite une perception pour produire une réaction, ouvrir une réflexion systémique - système ouvert versus système fermé - autour de la « pensée complexe ». Il témoigne de la complexité d'accepter d'intégrer la différence en « différance comme temporisation, différance comme espacement. […] nous désignerons par différance le mouvement selon lequel la langue, ou tout code, tout système de renvois en général se constitue "historiquement" comme tissu de différences » (Derrida, 1972a, pp. 9 ; 12-13). Il ouvre des possibles au devenir « d'un processus d'appropriation donc de transformation, par les autres » (Robillard de, 2009b, p. 173).

Quoi qu'aient pu écrire d’autres auteurs, nous proposons au lecteur de partir de mots et d'énoncés invitant à repenser des pensées, sans rechercher à les écarter, ni à les reposer pour ce qu'elles peuvent signifier pour certain(s). Nous proposons de s’attarder sur une mise en pratique, de s’immerger dans la rencontre d’un style d'écriture non-conventionnel. Nous pratiquons l’usage du trait d’union pour « déterritorialiser et re-territorialiser » (Deleuze & Guattari, 1972) l’espace du mot et en ouvrir les sens. Nous ouvrons un espace de créativité de la pensée, tout en convoquant l'espace-entre les mots. Nous transcrivons, au-delà de l'esthétique, au double sens - comme au chant du rossignol et à la langue des oiseaux - du jeu de sonorités, de mots ou de la symbolique des lettres et de la ponctuation rythmant le vide. Le style d’écriture constitue en son mouvement ce que nous voulons illustrer pour le livrer à son sort : s'arranger pour déranger l'ordre pré-état-pli qui précède la lecture. En d'autres termes, il vise à dérouter le lecteur pour qu'il s'approprie un chemin qui puisse être inconnu à toute préexistence à soi, par-delà l'essence des choses pour soi et au-delà du sens des mots en soi (Derrida, 1993a, p. 80). Il appelle ou fait appel à « la déconstruction » : « "la déconstruction", ou ce qu'on appelle ainsi, ouvre l'espace pour une autre organisation des relations (non nécessairement pyramidales) entre la série des "et" qui coordonnent horizontalement lesdites "régions" (appellation à repenser) et l'ordre onto-phénoménologique du "est " » (Derrida, 2004, p. 30). Il incite à s’arrêter de courir, à-prendre autrement le temps pour réussir à (se) comprendre et donner sens.

Tel un coup de dés, nous soulevons l’interrogation au laisser-passer de la discipline, en-quête d’un « sésame ouvre-toi ».

3. Le laisser-passer de la discipline

Je vous parle d'un temps
Que les moins de vingt ans
Ne peuvent pas connaître

Charles Aznavour chante ces mots à notre mémoire au son de La bohème (1965). Que signe l'artiste et au-delà que peuvent signifier ces mots pour chacun de nous ?

Un texte n'est un texte que s'il cache au premier regard, au premier venu, la loi de sa composition et la règle de son jeu. Un texte reste d'ailleurs toujours imperceptible. La loi et la règle ne s'abritent pas dans l'inaccessible d'un secret, simplement elles ne se livrent jamais, au présent, à rien qu'on puisse rigoureusement nommer une perception. Au risque toujours et par essence de se perdre aussi définitivement. Qui [sic] saura jamais telle disparition ? (Derrida, 1993a, p. 79)

Le savoir est un chemin difficile, tout autant que de répondre avec affirmation à ce que sèment les traces des micro-sillons qui s’ensuivent de ceux de La bohème :

  • Serait-ce à contre-temps l'insouciance du passé voire une désillusion du futur, telle l'ouverture d’un espace à un renversement de l'usage du temps, comme par extension une idée qui émerge au singulier pour chacun ou au pluriel d'une généralité ?
  • Serait-ce comme si, à l'heure de la course permanente de l'éphémère derrière le temps, poussé par une soif virtuelle d'immédiateté, d'illusions inhérentes aux nouvelles formes de communications et aux débordements induits des réseaux sociaux, l'Homme perpétuait l'allégorie de la caverne de Platon ?
  • Serait-ce que l'Homme se risque, en creusant pas à pas de plus en plus, à une aliénation des temps modernes, à l'auxiliaire chronophage de se faire avoir, à ce qui le phagocyte, au détriment de l'écologie et de la biologie de celui d'Être jusqu'à risquer de perdre son libre arbitre ?
  • Serait-ce qu'émergent, derrière le reflet du miroir de notre société, de simples points d'interrogations, comme d'autres qui s'enchaînent, résonnent et retentissent : Comment naître en Être libre de grandir au sein d'un système complexe sans devoir s'y déformer en s'y conformant ? Comment vivre en Être capable de naviguer à vue sans avoir les invisibles de l'héritage (familial, sociétal, culturel, ...) préexistant et délimitant l'existence ?

Ce qui précède trace un espace, un nuage de points pour le moins inattendu(s), comme en témoignent les images singulières qui pointent au lecteur qui les découvre. Une saturation cognitive, soulevée de ce qui dérange tout ordre préétabli, peut le pousser à rejeter l'imprévu qui émerge. Si l'incompréhensible se dessine sans forme, sans uniforme, il est soumis à une incapacité de se reconnaître dans l’espace d’un savoir disciplinaire. Une perte de sens désoriente à répondre sans se référer à la surveillance connexe à l'état de ses connaissances, comme par paresse du « cerveau ». Considérer l’espace d’un nuage et chacun de ses points, en prise à rechercher un sens entre l'unité et son ensemble, sème la confusion de l'énoncé. Pour que la lecture convoque un « discours caché » (Deleuze, 2016, p. 12), ne doit-elle pas se détacher d'un savoir ? Un savoir n’enferme-il pas dans la recherche d'un sens en un lieu de force du pouvoir disciplinaire ? Un savoir ne peut-il pas empêcher d'accueillir un espace de créativité d'une « ligne de devenir [qui] passe entre les points » (Deleuze & Guattari, 1980, p. 359) ? Et que dire de la pensée de Friedrich Nietzsche lorsqu’il écrit en 1908 dans Ecce Homo :

Bref, personne ne peut trouver dans les choses, sans en excepter les livres, plus qu’il n’en sait déjà. On ne saurait entendre exactement ce à quoi des évènements antérieurs ne vous donnent point accès. Imaginons dès lors un cas extrême : qu’un livre ne parle que d’évènements qui se trouvent complètement en dehors des possibilités qui se présentent fréquemment, ou même rarement seulement, dans la vie de quelqu’un ; que c’est la première fois que le livre en question parle un langage qui prépare une série de possibilités nouvelles. Dans ce cas, il se produit un phénomène extrêmement simple : on n’entend rien de ce que dit l’auteur et l’on a l’illusion de croire que là où l’on entend rien il n’y a rien… (1996, pp. 71-72)

Partons de rien, changeons de plan, prenons maintenant une « ligne de fuite [pour] faire fuir un système comme on crève un tuyau » (Deleuze & Parnet, 1977, p. 47). Retournons en images au devenir des moins de vingt ans pour y pointer un petit d'Homme et ses besoins de l'autre. L’autre, plus âgé, assure la survie du plus jeune, au sens de nourrir son âme tant par le corps que par l'esprit, jusqu'à relier les limites du territoire-individuation validant la courbe de la course vers l’âge adulte, au passage de points-relais. En effet, l'enfance démarquée par l'apprentissage se conjugue souvent avec devoir(s) et rencontres de points de pas-sages. Ces points sont sous couvert de contrôle(s). Ils répondent à respecter parents et enseignants - respecter au sens d'obéir et accepter de se conformer aux cadres et règles imposés (Illich, 2015, p. 85). Des schèmes psycho-socio-politiques dominent, acheminent et œuvrent jusqu'à atteindre, sans le savoir, leur appropriation - à l'accoutumance et à l'habitude - dans l'existence de l'oubli. Au temps du relais à l'âge adulte, le renversement au-père s'invite dans l'indifférence de la normalisation et de la norme, dans l'ignorance de la discipline qui s’est imposée. La discipline convoque, sans pouvoir y réfléchir, ni soulever l'interrogation d'entre tout ce qui se colporte en gigogne, comme caché sous nos yeux. C'est comme les colonnes de Buren, la partie cachée des colonnes soutient les dogmes et la surface visible nos schèmes, nos croyances. Au-delà de la surface des colonnes imposantes, est-il possible de dépasser les limites propres aux pleins imposés pour Être et se laisser aller à entrer où il importe de passer pour accéder à l'espace de créativité offert du vide d'entre les colonnes ?

Parfois, certains s'en retournent, loin de répondre à cette interrogation écrite, comme bloqués par les limites propres aux pleins imposés. Sans entendre là le son des mots, ils se dirigent vers d'autres sens propices à poursuivre sans relâche la discipline fixée pour atteindre la reconnaissance de la consécration. Est-ce la résonance à l'obéissance de l'enfance qui pousse au prix d'accepter de se conformer au cadre et à ses règles, au miroir du sacre d'Être, une fois accepté par une discipline ?

Pour autant, les règles du savoir et les connaissances conjuguées dans l'espace du temps présent paraissent loin de celles du temps passé à la corde à jeu dans la cour de récréation. Peut-être sonnent-elles juste(s) en cours de re-création comme déplacées entre l'insouciance et l'in-sous-science de l'Homme !

Traçons « une ligne de force générale » (Deleuze, 2016, p. 82) au regard d'un nuage de points. Cheminons, invitons l'interrogation et questionnons sur « le passage à l'acte » de la pensée complexe. La gouvernance du pouvoir - au-delà du discours de l'écrit de la pensée au sens du savoir - présuppose l'accordage au regard de pairs, comme un rappel à l'enfance. Le contrôle du devoir se crée au secret de la recréation du jeu qui se rejoue perpétuellement jusqu'à accepter de se déformer à une trans(e)-position de langue. Le panoptique de Bentham (2002) s'installe et déguise la liberté en un anagramme au terme d'utilités guidées. Ce peut être sous couvert d'une croyance - illusion d'une ascension vers la lumière à l'absorption par assimilation au fond de la caverne. Une métaphore de l'a-consécration se conçoit, tel un mécanisme inversement proportionnel à la consécration qui tend à l'absorption d'un puits sans fond. Une telle structure couplée aux valeurs, croyances et visions du monde qui les portent, façonne la vie sociale, comme « une cage d’acier » (Weber, 1964, pp. 203-204). La cage (s’) attache aux notions de territoire, limite, passage. La notion de passage réside tant dans l’action, dans le fait de (faire) passer, que dans l’endroit, là où l’on passe. Tel l’entre-deux, elle suscite une possibilité de l’un à l’autre. L’autre réfère tout aussi bien à matériel ou immatériel, réel ou fictif, physique ou psychique, sujet ou objet. L’objet de référence du passage se dessine : une porte associant une fonctionnalité spatio-temporelle. Elle ouvre et ferme des espaces délimités. Les limites partagent, coupent, traversent, séparent le territoire, canalisent l’espace, sous couvert de codes, de règles. Un « espace strié » émerge en contrevenant d’un « espace lisse » (Deleuze & Guattari, 1980). L’espace strié, homogène, réfère au cloisonnement, à la parcellisation du territoire. L’espace lisse, hétérogène, réfère au nomade, à ce qui se monte et se démonte au fil du temps. « L’on est d’un lieu, on crée, à partir de ce lieu, des liens, mais pour que celui-là et ceux-ci prennent toute leur signification, il faut qu’ils soient, réellement ou fantasmatiquement niés, dépassés, transgressés » (Maffesoli, 2003, p.12). Transgresser, digresser, investir des chemins alternatifs nous renvoient à la notion de « trangressivité » (Westphal, 2007). Cette notion s’appuie sur la spatialité, la perception du lieu dans sa dimension hétérogène, mouvant au passage de la limite, de la frontière. « Qu’elles soient réelles ou virtuelles, vécues ou imaginaires, fixes ou mouvantes, respectées ou transgressées, les frontières sont partout, en tous lieux, en tout temps, sous toutes les formes et toutes les dimensions » (Dorion 2006, p. 14). La transgressivité acte une volonté de franchissement, de s’affranchir de barrières de l’espace strié, de dépasser des limites soutenues par des codes. Elle propose un passage à l’entre-deux, une « déterritorialisation » en acte.

Transcrivons en acte cette notion au laisser-passer de la discipline : comment favoriser l’ouverture des possibles d’un espace de créativité ?

4. L'espace de créativité

De l'interrogation soulevée émerge de la feuille blanche l’espace d’un nuage de points. Les points dessinent la courbure d'une carte exploratoire d'un territoire, au mouvement du laisse-passe-entre, à la rencontre de l'ouverture d'un espace de créativité. Le nuage se déplace à contresens de la conduite induite du pouvoir d'exister dans la discipline, sous contrôle du laisser-passer pour avoir le droit d'entrer dans le dedans de la re-connaissance. C'est comme prendre « une ligne de fuite » pour entrer de l'autre côté du miroir, à l'agencement de la conscience vers la complexité de la liberté de la pensée. Cette disposition est propice à transmettre une ouverture para-dogmatique des connaissances. Para s’entend tant au sens du grec de « contre » qu'au sens du verbe français « parer » de « se protéger ». L’espace d’un nuage de points s’agite « pour libérer des forces qui viennent du dehors, et qui n'existent qu'en état d'agitation, de brassage et de remaniement, de mutation. En vérité, des coups de dés, car penser, c'est émettre un coup de dés » (Deleuze, 2016, p. 93). Dès lors, le laisse-passe-entre, serait-ce l'espace qui joue du dé et de ce qu'il/qui délivre ? Serait-ce un espace corollaire à différentier deux uns, comme un entre/antre contigu de l'existence de deux, comme inhérent à être contingent à trois ?

Ainsi s'ouvrent les prolégomènes à l'espacentre (Blanes & Lemaire, 2018 ; 2021). Ils inscrivent une réflexion, pour départir d'une interrogation, se déplaçant dans une posture relevant d'une indisciplinarité. Cette dernière se délocalise à la fois entre, à travers, au-delà toute discipline et pour autant autodisciplinée loin d’être indisciplinée. Elle navigue hors de la frontière disciplinaire (Morin, 1994) par-delà pluri-, inter-, intra-, pour rejoindre un espace de créativité et son ouverture aux in-dé-finis du champ des pensées. Elle découvre de véritables mines à ciel ouvert, loin de tout ordre préétabli, au sens d'un espace loin du panoptique de Bentham, tel que décrit en un modèle abstrait d'une société disciplinaire axée sur le contrôle social (Foucault, 1975 ; Deleuze, 2016, p. 41). Pour explorer cet espace de créativité, comment déjouer la règle du pouvoir de devoir se conformer au(x) système(s) afin d'obtenir la pairs-mission de diffuser une pensée à dé-penser ?

Partons de la règle associée au pouvoir du champ lexical de cinq mots tels que définis par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (cf. Encadré 1).

À l’aune des possibilités offertes par l’association de cinq doigts en la main de l’Homme, nous associons librement ces cinq mots en une modélisation spatio-temporelle de l’ouverture des possibles : l’espacentre.

Découvrir l'espacentre bouleverse les limites, les barrières, les frontières des possibles/non-possibles connus/non-connus actifs/non-actifs et ouvre leurs migrations (cf. Fig. 1). Vu de l'intérieur d'un système, il ouvre la fenêtre de possibles imprévisibles, abrupts, illogiques, paradoxaux. Vu de l'extérieur du système désormais ouvert, il ne devient « qu'un simple passage d'un ensemble de prémisses à un autre du même type logique » (Watzlawick et al., 1981, p. 44).

Décapsuler la boîte de hareng fait sortir et dénoue l'hermé(nœud)tique. Sans repère ortho-normé ou ortho-normal, l’espacentre dé-conditionne à prendre un chemin référencé sur trois axes (abscisse, ordonnée et cote). Il décline les points d'une nébuleuse issue du chaos. Il fait évoluer un système vers un degré croissant d’organisation, émerger une néguentropie (Masclet, 2010, pp. 22-25). Du pli toujours situé entre-deux plis (Deleuze, 2014, pp. 5 ; 19) et d’un diagramme ou plutôt d’une superposition de cartes (Deleuze, 2016, p. 51) émerge un laisser-passer-entrer dans un labyrinthe. Ce labyrinthe s'inscrit par-dessus les « discontinuités ». Il ouvre à la rencontre d’un espace de créativité, au-delà de l’ordre pré-état-pli de l’attendu issu de la déformation, dans la « lutte » à la formation du savoir et des connaissances. « C’est à partir des « luttes » de chaque époque, du style des luttes, qu’on peut comprendre la succession des diagrammes, ou leur ré-enchaînement par-dessus les discontinuités » (Ibid., p. 51). De l’ouverture de l’enchevêtrement de singularités, dérivée de la masse continue se déclinant jusqu’à une multitude de points, naît une forme ou force de résistance alors que, en sortie d’un algorithme statistique propre à l’usage de la discipline, naît une structure propositionnelle, déterminée, formant un système homogène (Ibid., p. 23).

Résister à dériver et voguer pour départir de la feuille blanche emplissent d’une superposition de points colorés qui émergent et réassocient chemin faisant, permettant au temps d’intervenir, afin de déambuler au sein de l’énoncé d’un-possible in-attendu (cf. Fig. 1.a). Le laisse-passe-entre ajuste à l'envie de rebondir au(x) ressort(s) du sens, loin du jeu de lois qui tourne au son du dé, de carte en carte. « Spinoza disait : on ne sait pas ce que peut un corps humain, quand il se libère des disciplines de l’homme » (Ibid., p. 99). À l'espacentre, tout se combine, tout se mélange, au jeu de la confusion, de la dissociation, qui déterritorialise sans savoir ni pouvoir sur ce qui se joue en secret derrière les dogmes de la discipline (cf. Fig. 1.b). Si l'incompréhension sonne une fois encore à la porte et soulève l'interrogation, se focaliser dessus écarte de ce qui se cache, coince l'emprise de l'a priori qui se crée et éloigne de ce qui disparaît sans même avoir été mis au jour. Est-ce que les mots par leur contenu et leur charge scientifique, sociale, politique vont orienter la prospective, non pas par manque de doctrine ou de savoir-faire, mais simplement parce que ces mots, ce vocabulaire, vont (as)servir (à) ceux qui les ont construits ? Le vocabulaire induirait-il une doxa particulière au service des puissants ?

5. Invite paradigmatique des prolégomènes à l'espacentre

Le système de pensée actuel tend à (s') ordonner à départir des mots harangués dans un ordre pré-établi à la convenance aristotélicienne, qui pré-occupent l'espace dans une doctrine disciplinaire. Comment s'écarter de tels « désastres » (Korzybski, 2017, p. 8) ? Serait-ce en commençant par apprendre autrement apprendre, au-delà de se conformer à ce qu’impose la discipline entre savoir et pouvoir ? Serait-ce par ailleurs en considérant ce que dit la vision complexe : « non seulement la partie est dans le tout ; le tout est à l’intérieur de la partie qui est à l’intérieur du tout » (Morin, 2014, p. 117) ?

Pour ce faire, nous invitons à se détacher de discipline au sens polysémique de champ d'étude, d'ensemble de règles, comme à s'en écarter en tant qu'objet servant à se flageller. Se détacher de discipline ne signifie nullement décomposer les pensées de personnes de leur (h)auteur ; elles ne sauraient être découpées de ce qu'elles sont. Cela signe sur un autre plan : conserver l'essence de leur tout, en interrogeant, pour laisser-aller et entrer ailleurs, sans craindre la sensation de la complexité. « Le problème n'est pas tant d'ouvrir les frontières entre les disciplines que de transformer ce qui génère ces frontières : les principes organisateurs de la connaissance » (Morin, 1999, p. 28). Désapprendre pour autrement appréhender discipline au sein d'un système complexe questionne les limites de (se) comprendre et donner sens jusqu'à atteindre un point d'interrogation propice à un changement de paradigme au sens d’Edgar Morin (2014, p. 147).

À la recherche de ce point, nous prenons l’initiative de rompre avec les schèmes existants en vue de provoquer un déséquilibre (Piaget, 1974) au sein de la discipline. Nous semons le doute avec une singularité improbable, nous bousculons les certitudes en questionnant :

Que signent les lettres du chien contenu(es) dans la niche au-delà des sens d’un tintamarre inconscient et conscient (TIC) ?

Voguons sans muselière et sans attache pour dévoiler l'ossature de la substantifique moëlle dont le contenu est issu du vide de son contenant comme le chien bénéficie de celui de la niche :

  • Les lettres de la niche contiennent celles du chien, ce qui sème la confusion et ce même s'il est vrai que chien couche l'anagramme de niche.
  • Des lettres du chien sont contenues dans la niche, au sens de l'anagramme précisé dans ce qui précède et de ce fait, fait aussi sens à l'image de la boîte à lettres et à l'appât de la boitte à l'être, comme indiqué ci-dessous.
  • Lettres est l'homophonie de l'être ainsi que des sens et des TIC est l'homophonie d'essence (décence et des cens) et d'éthique (des tiques et des tics), ce qui sème là encore la confusion.
  • Niche est associée sémantiquement au concept de chien et ainsi le mot niche peut activer le pattern neuronal de représentations mentales, y compris en cognition incarnée (Varela et al., 1993) et située (Suchman, 1987), associées à chien ; et vice-versa.
  • L’important dans la niche est qu'en soi elle soit un dedans, un contenant pour accueillir le vide pour qu'il recueille un contenu, le chien, les lettres ou l'être du chien, ce qui sème encore au-delà la confusion.

Ainsi va le jeu de langue, telle la lape du chien sous-tendu(e) par la métaphore qui sort de l'antre où se niche tant de lettres. Conjuguer par la langue des lettres, les associer dans un mot et accoupler des mots dans une phrase, invitent l'espace-entre au sens du vide offert entre-deux traits de caractères propres à chaque lettre symbolisant la différence dans la permanence du changement. Le vide accompagne le mouvement au passage d'une lettre à l'autre à partir duquel nous proposons de dévoiler la lecture d'un voyage d'écriture dans le temps, sachant que « l'écriture à la lettre ne-veut-rien-dire. Non qu'elle soit absurde [...], elle tente de se tenir au point d'essoufflement du vouloir-dire [...], le jeu de la différance qui fait qu'aucun mot, aucun concept, aucun énoncé majeur ne viennent résumer et commander, depuis la présence théologique d'un centre, le mouvement et l'espacement textuel des différences » (Derrida, 1972b, p. 23).

Au regard du jeu de lettres et d’images entre une niche et un chien, nous prolongeons le déséquilibre en déployant une modélisation d’un processus induit de l’espacentre à/pour donner sens et (se) comprendre (cf. Fig. 2).

Au regard de l’espacentre, suivant le « principe d’énaction » (Maturana & Varela, 1992) selon lequel chacun organise ses connaissances dans l’interaction avec son propre environnement, nous laissons aller la modélisation à la rencontre de la pensée complexe. Nous proposons d’arrêter obliger qui contraint à enfermer, loin d’expliquer qui force à plier, pour que chacun soit libre d’incarner et de situer. D'entrée le modèle soulève des questions, doutes et interrogations en quête d’équilibration entre assimilation et accommodation (Piaget, 1936 ; 1975). La recherche de (se) comprendre et donner sens se déploie au rond-point du savoir et des connaissances sur les confins du processus de la connaissance. Pour ouvrir les sens à cette modélisation, nous proposons une métaphore au regard épistémologique et paradigmatique (Blanes & Lemaire, 2021) :

Considérons le savoir comme constituant la structure tangible d'un tube et les connaissances la matière qui le compose. Alors, si l'espacentre est associé au vide contenu dans son contenant, il en devient l'essence de son existence et le véhicule aux sens. Dès lors, prendre le risque du mouvement de la pensée au travers du laisse-passe-entre du tube ouvre du rien au tout les espaces de créativité au réagencement, partant de la structure de la connaissance se remodelant chemin faisant à la rencontre d'une structure en re-évolution permanente. « Il nous faut comprendre que la révolution d’aujourd’hui se joue non tant sur le terrain des idées bonnes ou vraies opposées dans une lutte de vie et de mort aux idées mauvaises et fausses, mais sur le terrain de la complexité du mode d’organisation des idées » (Morin, 1991, p. 238).

Sur ce terrain, notre invite suggère un déplacement pour un réagencement de l'énoncé, un nouveau système de navigation de la pensée pour voguer à l'idée de la « scienza nuova » (Morin, 2014, pp. 66-68). S'avancer vers cette pensée relève d'un vertige qui peut désarçonner l'alpiniste. C’est ainsi que certains philosophes se risquent à s'élever à ce qui leur survivra au regard de l'archéologue (Foucault, 1969) et au sortir des barricades du savoir de la-vie-la-mort (Derrida, 1993b, pp. 224-235). Foucault, Deleuze, Derrida, témoins rock'n roll de leur époque, au devenir du tragique de leurs disparitions, s'immiscent à l'espacentre en un mouvement contestataire. Funambules de la pensée à l'agencement d'un diagramme (Deleuze, 2016, p. 51), non conformes, ils poussent à une réactualisation par une remise en question des points d'équilibre (cf. Fig. 1.a). Ils soulèvent l'inattendu, ce qui génère d'autres points que ceux attendus initialement provoquant un déséquilibre puis un processus d'équilibration (Piaget, 1950) à l’encontre d’un mouvement disciplinaire d’emprise homéosta(t/s)ique (cf. Fig. 2). Le phénomène d’homéostasie qui prend appui sur la résistance au changement, lutte contre tout corps étranger pour se prémunir d’un déséquilibre et conserver ou rétablir un équilibre. Il favorise l’évolution en vase clos de chaque microsystème, parfois sous couvert de laisser croire qu’il protège et véhicule aux sens. Sans se faire (a)voir et écartant de savoir, il assure une régulation et soumet à une focale limitant le champ de vision. Il illusionne l’environnement dans lequel il interagit, à vouloir (se) protéger en (s’) enfermant.

Pourquoi vouloir accepter ou refuser cela ? À quoi cela va-t-il ou peut-t-il servir ou desservir ? Qu’y-a-t-il à gagner ou à perdre ? De part et d’autre de la frontière, ces interrogations suffisent ou visent à stopper et à écarter par un jeu de filtrage. Au regard du filtrage de l’information, des moyens de communication, du contrôle des connaissances, différentes perspectives émergent au jeu de l’ouverture, sous de multiples plans. C’est comme si chaque acteur agissait au cœur d’un système, comprenant en lui-même des sous-systèmes, et prônait l’ouverture, tout en s’assurant que chacun d’eux reste fermé et hermétique à toute ouverture (cf. Fig. 1). Sous un autre angle, serait-ce comme si chaque acteur craignait le risque de laisser-passer-entrer un ver, un virus, propres à induire une colonisation du milieu, une transmutation, une crainte si forte qu’elle soulève autant de filtrages ?

Passé le désarroi initial, la confusion déclenche une recherche immédiate de la signification, afin de diminuer l’angoisse inhérente à toute situation incertaine. Il en résulte un accroissement inhabituel de l’attention, doublé d’une promptitude à établir des relations causales, même là où de telles relations pourraient sembler tout à fait absurdes. […] Cette recherche […] peut tout aussi bien conduire à des façons neuves et créatrices de conceptualiser la réalité. (Watzlawick, 2014, p. 35)

Se risquer à proposer une invite paradigmatique au concept de l'espacentre c'est « suivre une ligne de différenciation » (Foucault, 1976, p. 124 cité par Deleuze, 2016, p. 45) comme s'enfiler dans un perpétuel équilibre instable. En avant ou en arrière ou en balancement autour d'un point du fil, c’est engager une survie au rythme du mouvement, au pas qui suit celui qui précède, signant l'endroit où ils s'entrecroisent, comme une « cause immanente non-unifiante » (Ibid., p. 44).

6. Re-penser l'organisme à l'aune de l'espacentre

Pour repenser, au fil du temps, l'espacentre invite à une forme de contestation de l'ordre pré-état-pli en un mouvement de « plier-déplier » (Deleuze, 2014, p. 13). Son invite paradigmatique rebondit, déplie, déploie pour découvrir différents domaines à ce jour cloisonnés en discipline et repenser pour un jour nouveau une orchestration au sein de systèmes complexes, tel l'organisme (Morin, 2014, p. 69). « Répétons-le, la réforme de pensée est de nature non pas programmatique, mais paradigmatique, parce qu’elle concerne notre aptitude à organiser la connaissance » (Morin, 2011, p. 110). De la discipline à l'approche de la complexité, l'espacentre déploie au mouvement de la pensée nomade. Une telle pensée, caractérisée par des déplacements continuels, ne reste pas longtemps au même endroit. Dans, entre et par les points, tout comme l'hétérotopie, elle a « le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles » (Foucault, 1984, pp. 46-49). Par ailleurs, cette pensée nomade convoque la multiplicité des points de vue à travers le langage pour contourner l'induction du biais aristotélicien. Ce biais délimite le mouvement de chaque instant à un point d'une description d'une carte dans un processus séquentiel nécessitant l'usage de mots qui s'étendent en une proposition unique du local au global. Tout comme les mots, la carte n'est pas sur le même plan que ce qu'elle représente, ne représente pas tout ce qu'elle figure et figure dans une figure sur une infinité de plans. Ceci émerge des trois assertions proposées par Alfred Korzybski (1998) : « Une carte n'est pas le territoire (Les mots ne sont pas les choses qu'ils représentent). Une carte ne couvre pas tout le territoire (Les mots ne peuvent pas couvrir tout ce qu'ils représentent). Une carte est auto-réflexive (Dans le langage nous pouvons parler à propos du langage) » (p. 57). La carte comme le langage dissimule au sens, au fil du temps de la lecture dans une historicité.

La dissimulation de la texture peut en tout cas mettre des siècles à défaire sa toile. La reconstituant aussi comme un organisme. Régénérant indéfiniment son propre tissu derrière la trace coupante, la décision de chaque lecture. Réservant toujours une surprise à l'anatomie ou à la physiologie d'une critique qui croirait en maîtriser le jeu, en surveiller à la fois tous les fils, se leurrant ainsi à vouloir regarder le texte sans y toucher, sans mettre la main à l'objet, sans se risquer à y ajouter, unique chance d'entrer dans le jeu en s'y prenant les doigts, quelque nouveau fil. Ajouter n'est pas ici autre chose que donner à lire. (Derrida, 1993a, p. 79)

Faire vivre la pensée nomade est s'approprier l'hétérotopie de l'espacentre à la découverte de la lecture, après le passage à l'écriture, qui laisse la trace d'un territoire, une décomposition, une description, qui accueille ce qu'une œuvre rend ferme. La substantifique moelle perdure et poursuit sa vie au rythme des volutions esthétiques dans une texture rappelant l'épigenèse d'un organisme dans l'inscription de son évolution. L’espacentre édifie une analyse des pratiques et des processus au sein de systèmes complexes.

Nous partons de là, pour naviguer au-delà, vers différents territoires au chemin de nos expériences, à la construction de nos connaissances, en s'immisçant à la découverte de cartes induites du passage par l'espacentre.

6.1 Révolution numérique vers l'inter-connexion

Nous dérivons vers une illustration : un aménagement du territoire qui ouvre une « re-territorialisation » par la « déterritorialisation » via de nouvelles cartes, de nouveaux réseaux, d'interconnexions.

Le Réseau Régional de Télécommunications, Recherche et Technologie, R3T2, a été en juin 1993 la première véritable autoroute de l'information existant en France. Elle reliait les six pôles technologiques régionaux en Provence-Alpes-Côte d'Azur à 10 mégabits par seconde et à Internet via RENATER (Schafer & Tuy, 2013, pp. 86-87).

R3T2 est maintenant un exemple en France, au point que I'ANER, Association nationale des élus régionaux, présidée par Valéry Giscard d'Estaing, a chargé Christian Blanes de la mission de poursuivre, dans le cadre de la déréglementation, des négociations globales avec France Télécom au nom des vingt-deux régions métropolitaines. Totalement scientifique au départ, notre autoroute de l'information commence à s'ouvrir aux entreprises, et j'espère que nous pourrons l'amener, étape par étape, vers un usage grand public. Atteindre cet objectif ultime nécessitera une connexion entre R3T2 et les réseaux câblés des villes, seuls outils permettant d'envisager une pénétration des ménages. Cette perspective est fondamentale car elle marquera la véritable ouverture sociale de nos technologies nouvelles en leur donnant accès aux domiciles des habitants de la région. (Geiger, 1996, pp. 116-117)

L'histoire qui s'en suit jusqu'à ce jour donne sens à une révolution du numérique et à la découverte de nouveaux concepts qui émergent via cette initiative de développement économique. Cette émergence illustre une cocréation multi-concepts, véhiculée chemin faisant en entre-deux de l’espacentre convoqué par l'entre inhérent à l'avant et à l'après. La déréglementation en marche en 1993 ouvre l'espace à la concurrence dans le domaine émergeant des télécommunications et des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Cette ouverture (s') accompagne (de) l'abolition de certaines frontières, au sens géographique du terme, de certaines limites physiques et psychiques entre les personnes. Elle s'appuie sur un réseau d’interconnexions via des autoroutes de l'information et des accès répartis depuis chaque point du territoire étendu au reste du monde. Au vu de l’espacentre (cf. Fig. 1.a), un possible considéré comme impossible voire impensable (en dehors de la barrière A) se déplace au fil du temps à l’intérieur de la limite B jusqu’à transgresser la barrière A pour atteindre notre espace actif ; aujourd’hui, l’hyper-connexion est de mise. Par ailleurs, cette abolition corrélée à l'avènement d'Internet étend virtuellement tant l'espace de rencontres entre les personnes que l'accès à l'information. Les jeux d'acteurs induits de cette révolution permettent de dessiner de nouvelles cartes d'un même territoire dans différents plans, illustrant que la carte n'est pas le territoire. Dans cet « espace strié », convoquer l’espacentre pour concevoir « l’hétérotopie » restait affaire complexe pour la pensée.

6.2 Cheminement de la cargaison

Nous partons vers une autre illustration : un va-et-vient en aller-retour du local au global par un jeu de cartes, issu du territoire. Cette illustration sous-tend la capacité de retrouver le cheminement d’un produit et de ses constituants tout au long des étapes de production, de transformation et de distribution, capacité propre aux systèmes de traçabilité amont, aval et interne.

Nous considérons un territoire sous différents plans de focalisation, associés à une combinatoire de cartes. Du point de vue économique, l’ouverture à l’industrialisation et aux échanges mondiaux de marchandises tend à reconsidérer le mouvement en termes de flux physiques et flux d’informations associés (F2PIA) sur un territoire. L’élargissement du territoire connexe aux échanges commerciaux impliquent d’étendre l’espace-temps au risque de perdre la trace dans l’espacentre ex-territorialisé contigu de l'entre-responsabilité des acteurs sur la scène de la chaîne du flux. Perdre la trace est non-acceptable dans une vision mondialisée où la mémoire est le garant d’une sécurité tant collective qu’individuelle. La trace en mémoire contribue au sens du juste en maintenant la permanence de l'oscillation de l'entre-deux, entre hier et demain, entre ici et ailleurs, entre l'un et l'autre, associée à l’équilibre d’un système constitué et constituant du territoire (cf. Fig. 1).

La succession des codes qui se réalise par un couplage séquentiel permet aux F2PIA de ne pas être envisagés séparément, de maintenir et d’intégrer l’héritage des F2PIA afin de pouvoir restituer ou reconstituer une image de la circulation de l’ensemble des flux. Par analogie, nous pouvons nous référer au principe d’héritage ou de succession in-heritance relatifs aux systèmes à objets dans le domaine du génie logiciel. Il n’est pas possible de considérer un objet comme une entité séparée de son environnement et du système qui le contient. (Lemaire, 2005, p. 297)

Adapter la focale à ce qui crée une trace en mémoire, aux liens constituant le maillage au sens de former un réseau, invite à créer une interconnexion assurant une meilleure sécurité par l’espacentre propre au couplage du flux physique et du flux d’information. L’espacentre définit sur un autre plan une carte du territoire qui suppose une intentionnalité des acteurs dans la considération de l’intensité propre au couplage des flux intégrant, dans sa dimension spatio-temporelle, une contextualité dans la trace en mémoire. Construire un système de traçabilité totale suppose de considérer un territoire et de gérer les espaces à travers des cartes qui en réfèrent et s'y réfèrent dans un mouvement de plier-déplier.

6.3 Déambulation cybernétique

Nous partons référer à d'autres réseaux et à la matière de la cybernétique non pas constituée par des événements et des objets mais là encore par l'information qu'ils véhiculent dans une permanence du mouvement. Nous changeons de territoire, innovons, tel Platon, en son temps, d'usiter le terme grec κῠβερνήτης - (kubernêtês) pilote, gouverneur - pour désigner le pilotage d’un navire. Nous rebondissons sur ce qui conduit le mathématicien américain Norbert Wiener (1948) à proposer le terme cybernétique pour promouvoir une vision unifiée des domaines naissant de l'automatique, de l'électronique et de la théorie mathématique de l'information. En tant que science transdisciplinaire, la cybernétique propose de mettre en relation les principes qui régissent les êtres vivants et des machines dites évoluées et couplées à la systémique, notamment par l'apport des travaux de Bateson autour des mécanismes d'autorégulation des systèmes en tant que processus de rétroaction négative visant à empêcher une déviation (cf. Fig. 2). « La méthode cybernétique de l'explication négative soulève la question suivante : y a-t-il une différence entre "avoir raison" et "ne pas avoir tort" ? Devrions-nous dire, du rat dans un labyrinthe, qu'il a "appris le bon chemin", ou seulement dire qu'il a "appris à éviter les impasses" » (Bateson, 1980, p. 190) ?

De ces questions, nous ouvrons une réflexion autour du guidage visuel d'un robot mobile autonome d'inspiration bionique (Blanes, 1991). Cet animal cybernétique est apte à déambuler, à se déplacer dans un environnement inconnu, à éviter les obstacles et à poursuivre une éventuelle cible grâce à l'élaboration opto-électronique d'une chaîne sensori-motrice inspirée du traitement de l'information analysé dans le système visuel de la mouche.

En mode errance, le robot n'a aucune consigne à respecter en dehors du fait qu'il doit, sans s'arrêter, éviter les collisions avec d'éventuels obstacles rencontrés en chemin. Dans ce cas, tout se passe comme s'il rebondissait optiquement sur les contrastes perçus dans son périmètre de sécurité. […] En mode poursuite de cible, une consigne additionnelle est fournie au robot : atteindre une cible le plus directement possible. Ce dernier obéit dans la mesure du possible à cette consigne en respectant en priorité l'évitement d'obstacle. (Blanes, 1991, pp. 147-149)

Sans apprentissage mais faisant chemin, ce robot se véhicule dans l'entre-deux. La stratégie de mouvement dont il est doté, établit sa survie par une succession continue de décisions dans des choix induits de l'espace-libre, un espace-entre de l'espacentre. Les zones négatives du territoire, celles qui conduiraient à la collision accidentelle et à l'arrêt, sont identifiées et écartées sans pour autant établir de cartographie mémorisée a priori mais par un traitement parallèle en temps réel dans un plan azimutal, via une architecture sensorielle constituée d'une couronne de détecteurs élémentaires assurant un échantillonnage spatial sur 360°. Cette stratégie de mouvement n’est pas sans rappeler l'analogie avec l'analyse différentielle visant à retenir un choix de ce qui n'a pas été écarté. Par ailleurs, l'action de se guider pour le robot se couple à la détection de différences. Le robot déambule comme dans la recherche de perpétuer le champ d’un « espace lisse » sans les obstacles d’un « espace strié » au devenir des possibles de l’espacentre (cf. Fig. 1).

6.4 Neuropsychologie et pratique de l’hypnose médicale

Nous découvrons un autre chemin : la synergie entre l'hypnose et l'espacentre qui ouvre à différents sens, au sens de sensations et de significations, comme le propose l'hypnose. L’hypnose est « une thérapeutique de reconstruction, de réassociation, qui réalise au final une plastie mnésique du problème traité et permet à nouveau au sujet d’accéder à la liberté de choix » (Richard, 2005). L’espace d’une séance d’hypnose constitue un dispositif qui amène les traces mnésiques dans un espace où elles vont se lier à des représentations et devenir des éléments constitutifs d’une reconstruction. C’est à travers cette exploration que la personne va à partir de ses ressentis corporels, requalifier et s’approprier ses sensations et reconstruire une cohésion corps-esprit (Bioy & Célestin-Lhopiteau, 2014, p. 174). Le thérapeute apparaît tel un guide qui se fait le passeur accompagnant la personne vers un autre mode de perception. Il l’encourage à ouvrir les portes vers ce savoir informulé (Merleau-Ponty, 1945) et, en l’invitant à ne plus saisir l’environnement, à quitter l’espace-temps ordinaire par une danse de la transe hypnotique. Il invite le laisse-passe-entre et guide à l'espacentre qui sème le terreau à une « déterritorialisation ». Il favorise un état de focalisation et induit un arrêt de la perception et une rupture avec l’environnement, puis entraîne l’état de confusion ou d’errance de la conscience qui va favoriser le laisser-aller en ce qu’il bouscule les repères, les systèmes de perception et de compréhension. Le passage situe et est l'étant du si-tu-es. C'est l'espacentre, le plan d'ouverture d'une carte au territoire qui, tel le dé, permet progressivement à la personne, de délaisser un état de perception ordinaire pour accéder à un autre état (cf. Fig. 1).

La façon pour l’être humain, de se situer dans son environnement repose sur ce qu’il voit, entend, sent ou ressent ce qui lui est extérieur dont il se distingue. Cette façon de percevoir est considérée comme étant à la fois discontinue et partielle et est le lot de notre expérience quotidienne en état de veille ou vigilance restreinte. Une perception particulière est associée au passage à un état de veille paradoxale ou généralisée, et est dénommée « perceptude », lorsqu'elle caractérise l'état d'hypnose par la continuité et la prise en compte de tous nos liens avec le monde (Roustang, 2004). À la rencontre de l'espacentre, la « perceptude » constitue cette « aire où nous ne sommes plus des observateurs fixes faisant face à des objets ; elle est le territoire dont nous participons pour en devenir une part insécable. […] C’est sur la plage de la perceptude, à la fois finie et sans limites, que va se découper la perception discontinue et partielle » (Ibid., p. 133). Afin que l’espace et le temps s’insèrent hors des habitudes perceptives, l'espacentre s'invite pour laisser-passer-entrer à « un espace qui ignore les distances et un temps présent qui puisse être celui aussi bien du passé que du futur » (Roustang, 2006, p. 164). L’imagination dans l’hypnose devient une capacité sensorielle qui permet au corps de ne plus être enfermé dans les évidences spatiales et temporelles. Elle devient « le lieu et le temps du possible qui est déjà là sans que nous le sachions » (Roustang, 2004, p. 164). Le thérapeute en tant que garant du cadre veille à inscrire sa démarche dans une scénographie de l'espace favorisant la création de l'espacentre.

L'espacentre, forme agglutinée à partir d'un article défini pour déterminer, une apostrophe pour lier et permettre en s'effaçant de lire un néologisme « espacentre » pour ouvrir ensemble à un concept entre-pensé du vide, d'espace, carte, trace, transe et territoire, homophonique et polysémique entre sons et sens induits tant de l'espace-entre au sens d'un entre-deux territorialisations que de laisse-passe-entre au sens de laisser-passer-entrer un mouvement, a-perceptif au double sens de constitué et constituant ou encore au sens de ce qui dé-limite le territoire au sens de dé-territorialisation des représentations et des processus internes, visant une unité a-dimensionnelle issue de la dés-intégration rappelant le phénomène de la fission nucléaire, laissant place à l'épicentre propice à une re-territorialisation. (Blanes & Lemaire, 2018, p. 20)

C’est dans la conduite au changement que l'hypnose dévoile les capacités de la personne et l'espacentre ouvre l'accessibilité au vide et au réservoir de la création ; là où le changement s'assimile dans un espace de jeu de l'expression et de la créativité. Considérant l'existence de deux sortes de changement (Watzlawick et al., 1981, p. 28), l’un prenant place à l’intérieur d’un système donné qui, lui, reste inchangé (changement 1) et l’autre modifiant le système lui-même (changement 2), le passeur accompagne la personne à l'espacentre propice à l'ouverture d'un plan de niveau supérieur par un changement 2. « Un système qui passe par tous les changements internes possibles (quel que soit leur nombre) sans effectuer de changement systémique, c’est-à-dire de changement 2, est considéré comme prisonnier d’un jeu sans fin » (Ibid., p. 42). C’est comme si le changement 2 ouvrait aux possibles sans savoir ni pouvoir d’un « espace strié » à la rencontre d’un territoire d’un « espace lisse » propice à appréhender la pensée complexe au processus de l’espacentre (cf. Fig. 1 et 2).

7. Transgression de l’espacentre en territoire disciplinaire

Avant de conclure, nous prolongeons notre réflexion à la prospective, au travers de l’histoire du parcours de ce texte en territoire disciplinaire. À l’aune du vécu de nos expériences et formations pluridisciplinaires (neurocybernétique, traitement du signal, réseaux de télécommunication, systémique, neurosciences, sciences humaines et sociales, neuropsychologie, hypnose médicale), nous revêtons une posture de chercheur, au sens de l'agissant et non du statut. Nous pratiquons « l’indisciplinarité [qui] se nourrit de tous les apports des disciplines, cultive l’autodiscipline, et ne s’oppose qu’à ce qui entrave le mouvement libre de la sérendipité » (Catellin & Loty, 2013, p. 35). Nous sommes positionnés comme un émetteur extérieur à une discipline - sans discipline de rattachement en cours de validité - tout en ayant un parcours antérieur de recherche. Nous prenons soin de respecter chaque consigne lors de la soumission de notre proposition ou lettre d’intention à des revues scientifiques. Nous - deux chercheurs, esprits curieux et tâtonnants (Avenier, 1997) - recevons les réponses de différentes disciplines : Sciences Humaines et Sociales, Sciences du Langage, Sciences Technologies Sociétés, Philosophie, … (cf. Encadré 2). Un constat, susceptible d’ouvrir l’attention propice à la confusion, s’impose comme un rappel de l’Évangile selon Saint Matthieu (chapitre XXIII, versets 2 et 3) : « Omnia ergo quaecumque dixeri vobis servate et facite : secundum opera vero eorum nolite facere ; dicunt enim et non faciunt » (Observez donc et faites tout ce qu’ils vous diront, mais ne faites pas ce qu’ils font, car ils disent ce qu’il faut faire et ne le font pas). Pour autant, nous évitons tout risque de laisser imaginer une discrimination voire un signe de « glottophobie » (Arditty & Blanchet, 2008), soit « le mépris, la haine, l'agression et donc globalement le rejet, de personnes, effectivement ou prétendument fondés sur le fait de considérer incorrectes, inférieures, mauvaises certaines formes linguistiques […] usitées par ces personnes » (Blanchet, 2013, p. 29). En effet, du point de vue de l’intérieur, du critique, chacune des réponses reflète la pertinence de l’adéquation entre les attentes de la revue, son territoire et la proposition. Sous un autre angle, vu de dehors, les critiques raisonnent et ces messages résonnent au son du silence, du témoignage d'une trans(e)mission de pensées, non relayée. Aucune possibilité d’en savoir plus devant la porte fermée d’une cage d’acier ! C’est là que - eu égard à ce qu’évoque Edgard Morin (2014) quand il écrit : « les frontières de la carte n’existent pas dans le territoire, mais sur le territoire, avec les barbelés et les douaniers » (p. 52) – nous convoquons (se) comprendre et donner sens. A cet effet, nous découvrons ce qui (ne) peut passer inaperçu. En sixième réponse, bonne note est prise d'avoir reçu une réponse non pas du comité de rédaction mais du comité de « réaction ». Dans la première, le traitement « exotique » du texte devient rédhibitoire. Et pour autant, l'objet d'un texte à penser vise non pas à être « parcouru » comme indiqué mais à s'arrêter pour en appréhender le fond eu égard à la singularité de la forme du « traitement », ici le trait d’union qui comme « l’herméneute mise sur ce qui inquiète le positiviste » (Robillard de, 2009a, p. 134). Quoi que puissent soulever les réponses comme autres questions, elles sont sans appel et en sens unique. Nos envois ne répondent pas à un cahier des charges - au-delà de toute éventualité de maladresses de ne pas avoir été suffisamment précis sur l'objet du texte ni sur la démarche herméneutique – loin d’être arrivés à converger. Pour autant qu’ils visent à ouvrir d’autres espaces de possibles de construction des connaissances, ces espaces resteraient-ils fictifs, sans réalité pour le chercheur, impropres à sa discipline ou sans fondement ? Ou alors l’échange de pensées s’annoncerait-il lui aussi complexe, si personne de dedans n’est à même de se positionner comme personne de dehors ? Ou alors comment la discipline convoquée pourrait-elle faire une analyse par le filtre du préjugé sans établir celui de la raison dans la construction des connaissances, coincée entre son savoir et son pouvoir ? La discipline s’imposerait-elle en un « espace strié » ? La transdisciplinarité dans la pensée complexe rechercherait-elle à créer un « espace lisse » ? Ou alors serait-ce un espace entre rêve et réalité ? Et l’espacentre, saurait-il (s’) ouvrir des possibles - reflet de ce qu’il est - au chemin de l’échiquier du labyrinthe de la discipline et des connaissances ?

C’est ainsi qu’arrive à nos yeux la découverte de la lecture du dernier échange : « Je vous remercie pour votre message. Je trouve votre démarche très intéressante. Je pense qu’il est possible de laisser l’affiliation vide ou bien de la personnaliser. Je vais vous adresser une notification par la plateforme, peut-être que cela aidera. À très bientôt ».

Face à l’incertitude, ressurgissent le doute et le questionnement à l’aune du processus d’assimilation et d’appropriation de la connaissance. Est-ce que ce texte serait devenu conforme ? Aurait-il mûri au fils du chemin de son évolution de discipline en discipline tout en conservant son identité ? Reste-t-il au cœur de la pensée complexe pour prétendre questionner, transgresser le risque de se faire écarter ? Pourra-t-il déployer les possibles à l’espacentre ?

8. De conclusion à déflexion, ouverture à la pensée

À la rencontre d'un labyrinthe, nous venons de témoigner de la pensée complexe à métisser entre savoir et pouvoir, pour préserver une liberté d'expression. Téméraires ou inconscients, nous invitons à naviguer hors des limites de la barrière disciplinaire, sous le filtre du « préjugé ». Solidaires ou explosifs, nous déployons le trait d’union - « déterritorialiser » et « re-territorialiser » - pour faire face à un « espace strié » au devenir d’un « espace lisse ». Responsables ou insouciants, nous prenons la liberté de mettre en œuvre la notion de « transgressivité » pour ouvrir l’espace d’un-possible. Esseulés ou solitaires, nous tentons une évasion, sous le joug d'être éconduits aux frontières. Naufragés ou prospecteurs, nous jetons une bouteille au devenir d'une jurisprudence « indisciplinaire ». Utopistes ou démineurs, nous déposons à l’intérieur de la structure, une réponse à la question de l’espacentre. Créatifs ou démissionnaires, nous véhiculons aux sens que diffuser la question est réponse, comme est mis en acte la publication de notre recueil d’ouvrages (Blanes & Lemaire, 2021). Incompris ou ambitieux, nous prenons le risque de sortir des sentiers battus pour partir explorer de nouveaux horizons entre langage et territoire, vers une perspective de néguentropie à la vie. Hardis ou fougueux, nous entreprenons « la difficile marche du chemin de la connaissance [qui] implique la réintroduction du connaissant dans la connaissance (Morin, 1999) ; autre principe de la pensée complexe » (Sauvage & Nourrit, 2022, p. 14).

Bibliographie

Arditty, J., & Blanchet, P. (2008). La « mauvaise langue » des « ghettos linguistiques » : la glottophobie française, une xénophobie qui s’ignore. REVUE Asylon (s), (4). http://terra.rezo.net/article748.html

Avenier, M. J. (1997). Une conception de l'action stratégique en milieu complexe : la stratégie tâtonnante. La stratégie chemin faisant. Economica, pp. 37-61.

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Vers un langage pour exprimer la complexité

Eric Lacombe

Cet article présente les dernières évolutions d’un modèle d’organisation de l’information qui éclaire la complexité de la transformation de l’organisation. Il reformalise le concept de graine d’information, unité élémentaire de sens, dans une perspective relationnelle à partir de 6 opérateurs mathématiques élémentaires considérés comme des attracteurs de forme. Il définit également 6 primitives relationnelles pour relier ces graines dans des graphes organisationnels. Ces cartographies sémantiques permettent en particulier d’analyser les relations entre l’individu et le groupe, mettant en avant la...

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